Une Europe d'agnostiques ?
L’Europe est-elle vraiment entrée sans retour dans l’« âge séculier » ? Si l’affaiblissement de la base sociale du christianisme en Europe est indéniable, selon le dossier de la revue Esprit, "Une Europe sans christianisme ?", coordonné par Jean-Louis Schlegel, la sécularisation transforme la foi et l’appartenance religieuse en choix personnels et maintient une culture d’origine chrétienne et une quête de sens, particulièrement sensibles dans la création littéraire.
Pour Jean-Louis Schlegel, directeur de la rédaction d'Esprit, si la sociologie de la pratique religieuse peut bien constater statistiquement une forte et inexorable baisse de la participation cultuelle durant les dernières décennies, baisse particulièrement sensible et visible dans le catholicisme, « elle ne rend pas compte pour autant de "la foi qui reste" ou de l’état réel des croyances dans et hors des Églises ».
On pourrait dire, s’il faut absolument faire un bilan, que, sur fond d’absence de plus en plus marquée et d’invisibilité croissante du christianisme en Europe, demeure, malgré ses ambiguïtés, pour ne pas dire ses facettes « déjantées », la présence continuée, comme une rumeur ou une trace, ou comme un fleuve souterrain, d’une culture d’origine chrétienne. Elle irrigue l’inventivité artistique, l’imaginaire littéraire et aussi, tout de même, chez beaucoup d’Européennes et d’Européens, une éthique de l’autre, de l’accueil multiple des altérités, de l’ouverture à l’inconnu proche ou éloigné, de la protestation contre l’injustice.
Selon le philosophe Camille Riquier, membre de la rédaction d'Esprit : « La figure de l'agnostique, jadis isolée, a fini par prendre la plus grande part, jusqu'à estomper quelque peu la frontière qui séparait les athées et les croyants. »