
Les Juifs dans le Coran de Meir M. Bar-Asher
Préface de Mohammad Ali Amir-Moezzi
Meir M. Bar-Asher, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, islamologue spécialiste des littératures arabes, fait une mise au point brillante sur la question des Juifs dans le Coran. Il s’appuie sur les travaux extrêmement précis des chercheurs anglo-saxons, musulmans ou juifs, peu connus en France. Le Coran regorge de récits bibliques, réécrits afin de les inscrire dans la narration de l’islam, et les Juifs y sont tantôt loués, tantôt vilipendés. Contradiction ? Non, car le Coran est un récit dynamique et la littérature coranique s’étale sur plusieurs siècles.
Le caractère allusif des écrits montre que l’Ancien et le Nouveau Testament n’étaient pas ignorés : des tribus juives ou arabes converties à un judaïsme dont on ignore la nature vivaient effectivement en Arabie et au Yémen. Les Juifs sont décrits comme les « fils d’Israël » ou « le peuple du Livre » (désignant aussi les chrétiens). Si nombre d’assertions sont positives, le négatif l’emporte. Le peuple élu aurait été ingrat, il aurait rompu l’Alliance, ce qui l’a déchu de son élection au profit des musulmans. Les Juifs seraient perfides, auraient falsifié les Écritures, seraient devenus idolâtres, assassins des prophètes ! L’auteur reprend l’exégèse critique qui y voit non un jugement contre les Juifs en général mais contre les juifs de Médine. Nombre de versets virulents peuvent être « neutralisés quand ils sont ramenés à un contexte historique précis [et à l’inverse] devenir explosifs quand ils sont sciemment décontextualisés pour être brandis contre les juifs et les chrétiens d’aujourd’hui ».
Les deux religions monothéistes sont « inextricablement liées », pour des raisons historiques mais aussi structurelles. Les Juifs sont « des ennemis théologiques » car la révélation abrahamique valide un islam qui doit se démarquer du judaïsme. La virulence de certains versets peut aussi provenir d’un antijudaïsme chrétien qui a précédé l’islam. L’import des lois religieuses du judaïsme, de la Halakha, est évident. On les date de la période médinoise où « les deux religions vivaient dans un voisinage étroit ». L’orientation de la prière, le jeûne, les lois alimentaires, le calendrier, avec leurs similitudes et leurs divergences, révèlent combien « l’islam s’est construit à la fois avec et contre sa référence juive ».
Les deux derniers chapitres s’appuient non sur le Coran, mais sur l’exégèse post-coranique. L’auteur analyse le développement, entre idéal et réalité d’application, de la dhimma, ce statut juridique particulier qui protège depuis le viiie siècle les minorités juives au sein du monde musulman. Ce statut trouve effectivement son fondement dans le Coran, où l’humiliation et la pauvreté accablent les Juifs. Peu étudiés, les aspects positifs et négatifs des Juifs et de leur religion se retrouvent avec quelques particularités dans le chiisme. Les Juifs y sont considérés comme rituellement impurs et vus comme les prototypes des chiites, véritables élus à l’intérieur de l’islam.
L’auteur termine par le constat de l’actualité de cette question des Juifs dans le discours musulman contemporain par l’irruption du sionisme et de l’État d’Israël. Abolie, la dhimma s’exprime aujourd’hui sur le plan de l’idéologie politique, car les Juifs n’ont pas le droit de dominer des musulmans. L’État d’Israël est donc, pour le musulman, une anomalie intolérable. Les versets haineux concernant les Juifs sont aujourd’hui brandis, hors contexte, dans un but idéologico-politique passionnel, comme le montrent tant les slogans du Hamas que la représentation des Juifs et des chrétiens chez certains imans ou dans les abondants discours sur Internet. Les « voix plus posées rencontrent peu d’écho », conclut l’auteur. Ce livre pourrait être considéré comme une « bible » pour les lecteurs français, en l’absence d’autres traductions sur le sujet, tant la critique historique et exégétique des versets du Coran et de la littérature post-coranique est pertinente et nuancée, et la bibliographie annexée immense.