
Le grand dérangement d’Amitav Ghosh
D’autres récits à l’ère de la crise climatique Trad. par Morgane Iserte et Nicolas Haeringer
« Avant la naissance du roman moderne, partout où l’on racontait des histoires, la fiction se régalait d’inouï et d’invraisemblable. » À partir du xixe siècle, le roman se centre sur une « aventure morale individuelle ». Les récits, littéraires mais aussi géologiques, abandonnent l’improbable et l’exceptionnel pour la probabilité et la linéarité. Ils épousent la tranquillité de la culture bourgeoise. Seulement, et c’est son paradoxe, cette focalisation intervient au « moment précis où l’activité humaine modifiait l’atmosphère terrestre ». L’écrivain Amitav Ghosh identifie très peu d’écrivains « dont l’œuvre de fiction nous aurait mis sur la piste de changements accélérés de notre environnement ». Ils sont d’ailleurs souvent relégués dans le territoire « hybride » de la science-fiction, exclu de la légitimité littéraire traditionnelle. Même l’engagement littéraire sur de nombreux fronts « demeura aussi ignorant de la crise qui frappait à notre porte que ne l’était le grand public ». Le monde contemporain, fait de continuités insistantes et de phénomènes physiques dramatiques, rend poussiéreuses et datées ces manières dominantes de classer et de raconter. Le « manoir de la fiction sérieuse » et « les fronts de mer condamnés de Mumbai et de Miami Beach » semblent pourtant agrippés à cette défense du monde dont ils viennent et dont ils sont l’incarnation. Cet essai importan