
Métope de Thanassis Hatzopoulos
Trad. par Alexandre Zotos et Véronique Briand
Deuils, infanticides et prophéties vouées à l’échec peuplent cet univers tout à la fois connu et d’une « inquiétante étrangeté »
L’œuvre poétique de Thanassis Hatzopoulos (par ailleurs psychanalyste et traducteur en grec de la poésie française contemporaine) commence à être bien accessible aux lecteurs français. Elle est en effet traduite à plusieurs reprises et souvent dans d’excellentes éditions bilingues. C’était déjà le cas avec Cellule qu’avait publié Cheyne éditeur ; ce l’est à nouveau avec Métope. L’ensemble est enrichi par de beaux lavis de Colette Deblé, ainsi que par une préface, des notes éclairant certaines références à la mythologie ou à la culture antiques et une postface de Claire Nancy. L’objet est beau, bien construit et agréable à lire. Mais ces brefs poèmes sont âpres. Ils puisent leurs motifs dans le cœur souvent noir des figures mythiques et tragiques de la Grèce antique et privilégient des femmes au destin funeste : Jocaste, Antigone, Médée, Clytemnestre, Cassandre… Deuils, infanticides et prophéties vouées à l’échec peuplent cet univers tout à la fois connu et d’une « inquiétante étrangeté ». Le titre, Métope, évoque ces panneaux courant sur le pourtour d’un temple entre l’entablement et le toit, où sont représentés figures ou épisodes mythologiques. Le lecteur avance d’une figure à l’autre, faisant des haltes multiples sur l’unité d’un chemin. Vers après vers, il entend revenir la vieille histoire tragique pleine de terreur et de pitié, comme si celle-ci, fanal obscur, ouvrait toujours sur une intelligence du présent, éclairant « ce triomphe de la dissension » que réclament, voire instituent « l’insociable sociabilité » humaine et sa cité. La poésie affronte ainsi ce qui pourrait outrepasser la puissance de la parole, elle laisse remonter le magma qui affleure aux bords du « fragile vernis d’humanité » de nos civilisations toujours précaires. Elle le fait sans complaisance, avec rigueur et sobriété, et même une sorte de méfiance pour tout excès facile, qui fait sa dignité : « Il se trouvera bien quelqu’un / Pour tendre une oreille attentive / Vers le puits de l’âme / Pour enrayer le verbe / Et ausculter la douleur / Broder sa peine avec des paroles étrangères. »