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Notes de lecture

Dans le même numéro

Le peuple des femmes. Un tour du monde féministe de Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc

juil./août 2022

Est-il nécessaire, pour que ce peuple de femmes se fasse, de se séparer des hommes ? Les deux auteurs considèrent qu’un premier mouvement de sortie est nécessaire. Mais cela ne signifie pas que ce « séparatisme » doive durer, ni qu’il représente une fin en soi.

Ce livre tente de cartographier les pratiques que les femmes mettent en place, à travers le monde, afin de combattre le patriarcat. Il s’agit de rendre audibles leurs voix et de faire connaître les procédés qu’elles adoptent pour se réapproprier leur subjectivité et leur pouvoir, « préempté par les hommes ».

Le terme « peuple des femmes » renvoie à la constitution, à travers ces pratiques, d’une unité et d’une solidarité transnationales, qui incluent toutes les personnes opprimées par la normativité patriarcale (les personnes LGBTQ+), mais aussi les hommes qui ne veulent pas s’y conformer. Est-il nécessaire, pour que ce peuple de femmes se fasse, de se séparer des hommes ? Les deux auteurs considèrent qu’un premier mouvement de sortie est nécessaire. Mais cela ne signifie pas que ce « séparatisme » doive durer, ni qu’il représente une fin en soi. Il est bien au contraire la condition d’un « retour », invitant les hommes à se joindre à un projet commun de réinvention de la société. Mariam Koné, chanteuse des Amazones d’Afrique, invite « les hommes à lutter pour nous, à lutter avec nous ». Pour Guillaume Le Blanc, « l’allié » que peut devenir l’homme solidaire de la lutte féministe « n’est pas nécessairement celui qui aide les femmes ; il peut se vivre comme celui qui prend leur parti ». Cette position implique de ne pas chercher à intervenir dans l’espace de parole libérée que les femmes ont besoin de constituer pour se réapproprier leur vie. Les auteurs citent ainsi l’exemple des poèmes déclamés par les femmes bédouines entre elles, à l’écart de la société des hommes, « dans les lieux cachés où peut alors s’organiser une culture des femmes et même un pouvoir des femmes qu’elles défendent comme leur ultime possibilité de vivre ». Cette défection, qui permet la prise de parole, s’apparente, pour les auteurs, à une « déloyauté, une trahison de l’ordre existant », permettant dans le même temps « une harmonie des voix qui prépare la possibilité d’un peuple ».

Ce peuple se déploie dans une pluralité de formes d’expression et d’invention de soi. Il s’agit d’opérer une « démasculinisation » des rapports de genre, de l’économie, mais aussi de la vie politique, de la morale et de la religion. L’éthique du care joue un rôle important dans cette proposition de société : « activité de partage et de collaboration focalisée sur les besoins et les décisions des individus concernés », elle permet un rapport entre les genres, mais aussi un rapport de l’humanité au monde naturel, qui refuse l’exploitation et la domination sur lesquelles sont fondés le patriarcat et le capitalisme. Les auteurs évoquent également le mouvement argentin Ni una menos. Ce « féminisme d’en bas » et « du Sud » s’inscrit dans une dynamique de lutte où le genre croise la classe et la race, et plaide même pour une « planète non soumise au pillage des ressources ».

La libération du patriarcat se fait donc « au nom d’un devenir démocratique du monde ». À cet égard, le mouvement #MeToo est voué à la construction d’un espace de prise de parole, « d’une assemblée destinée à modifier les rapports de sexe ». En somme, « faire appel au féminisme, c’est défendre l’égalité réelle entre toutes les existences humaines, ce qui suppose une critique du masculin fort et du féminin faible ».

Flammarion, 2022
384 p. 21 €

Benjamin Tuil

Ancien stagiaire à la rédaction d'Esprit.

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Faire corps

La pandémie a été l’occasion de rééprouver la dimension incarnée de nos existences. L’expérience de la maladie, la perte des liens sensibles et des repères spatio-temporels, le questionnement sur les vaccins, ont redonné son importance à notre corporéité. Ce « retour au corps » est venu amplifier un mouvement plus ancien mais rarement interrogé : l’importance croissante du corps dans la manière dont nous nous rapportons à nous-mêmes comme sujets. Qu’il s’agisse du corps « militant » des végans ou des féministes, du corps « abusé » des victimes de viol ou d’inceste qui accèdent aujourd’hui à la parole, ou du corps « choisi » dont les évolutions en matière de bioéthique nous permettent de disposer selon des modalités profondément renouvelées, ce dossier, coordonné par Anne Dujin, explore les différentes manières dont le corps est investi aujourd’hui comme préoccupation et support d’une expression politique. À lire aussi dans ce numéro : « La guerre en Ukraine, une nouvelle crise nucléaire ? »,   « La construction de la forteresse Russie », « L’Ukraine, sa résistance par la démocratie », « La maladie du monde », et « La poétique des reliques de Michel Deguy ».