
Le courage de l’Ukraine de Constantin Sigov
Avec la collaboration d’Anne-Marrie Pelletier
Constantin Sigov poursuit son œuvre de réflexion, de mobilisation et d’éclairage des opinions européennes sur le sens de l’affrontement que mène avec héroïsme le peuple ukrainien. « Nous luttons pour notre liberté et la vôtre » : tel fut le slogan des combattants du ghetto de Varsovie et on peut le reprendre pour l’Ukraine martyrisée, à la différence près que le combat du ghetto de Varsovie était sans espoir, alors que celui de l’Ukraine porte l’espérance de toute l’Europe. Dans sa préface, Anne-Marie Pelletier décrit la révolution de Maïdan en 2014, largement à l’origine de la guerre actuelle, comme celle de la vérité et de la dignité.
Les articles repris dans ce livre, qui s’étalent de 2011 à 2022, abordent la question de désoviétiser les esprits, d’œuvrer pour une Europe de l’esprit et de se tenir dans un combat spirituel. Dans « Guerre extérieure et guerre intérieure : un couplage interrogé par l’analyse politique de Mikhaïl Dragomanov », Constantin Sigov montre que l’historien Dragomanov (1841-1895), noble de l’oblast de Poltava, a joué un rôle important dans l’émergence de la conscience nationale ukrainienne. Il appartenait à la Vieille Hromada de Kiev, la plus ancienne de ces sociétés secrètes qui rejetaient le pouvoir impérial. Contraint à l’exil, il forma à Genève l’organisation générale ukrainienne, émanation des Hromadas, et y publie un journal de 1878 à 1882. Il définit ainsi les caractéristiques du mouvement national ukrainien : « fédéralisme en politique, liberté individuelle dans le domaine social, socialisme en économie ». Et il précise les six exigences minimales à satisfaire pour changer un pouvoir autocratique en régime constitutionnel : respect de la sécurité des personnes et inviolabilité du logement, sécurité de toutes les nationalités, liberté religieuse, liberté de la presse, de l’enseignement, d’assemblée et de manifestation, autonomie locale, et responsabilité de tous les fonctionnaires devant les assemblées provinciales et les tribunaux. Se penchant sur la guerre russo-turque de 1877-1878, il montre qu’il ne sert à rien de s’insurger contre la violence de l’Empire ottoman contre ses populations autochtones orthodoxes, si la Russie tsariste fait de même chez elle en étouffant l’autonomie culturelle et politique des nations sous son joug. D’où le titre de son ouvrage : Les Turcs du dehors et les Turcs du dedans (1876).
Un autre article, consacré à la culture du droit en Russie, montre qu’Eugène Troubetskoï (1863-1920) fut bien isolé quand il écrivit dans son Encyclopédie du droit (1908) : « Si le droit, tel qu’il existe dans la réalité, ne correspond pas à la vérité, nous sommes catégoriquement tenus de remédier à cette disparité. » On lira également avec attention les articles consacrés au combat moral conduit par les chrétiens durant le totalitarisme soviétique. Constantin Sigov espère que la liberté acquise par l’Église orthodoxe de Kiev servira un jour à l’Église russe elle-même, en remédiant à son vide spirituel, étant devenue une annexe du Kremlin. Le travail de lucidité de Constantin Sigov est salutaire. Il a fait sien ce mot, dur mais réel, de Vassili Grossman dans Vie et destin : « L’histoire des hommes n’est pas le combat du bien cherchant à vaincre le mal. L’histoire de l’homme c’est le combat du mal cherchant à écraser la minuscule graine d’humanité. Mais si même maintenant l’humain n’a pas été tué en l’homme, alors jamais le mal ne vaincra1. »
- 1. Vassili Grossman, Vie et destin, trad. par Alexis Berelowitch et Anne Coldefy-Faucard, Paris, L’Âge d’homme, 1980, p. 385.