
La société médiatisée de Bernard Charbonneau
Préface d’André Vitalis. Postface de Christian Roy
L’auteur a anticipé bien des évolutions de la numérisation du monde et de la médiologie.
Bernard Charbonneau (1910-1996), collaborateur d’Esprit, avec Jacques Ellul, avant la guerre, théoricien de l’écologie politique, observateur implacable des désastres que le productivisme ne cesse de commettre sur les paysages comme sur chacun de nous, est un infatigable auteur et véritable lanceur d’alerte ! Il examine aussi bien l’automobile que le tourisme massifié, les loisirs que l’« aménagement du territoire », le régionalisme que la « révolution verte », les écologistes que l’État, l’alimentation que les pièges de la consommation, avec une rare perspicacité.
Dans les années 1980, vraisemblablement en 1986, il met au point un nouveau manuscrit, La Société médiatisée, qui vient d’être édité. Essai bien construit, à l’écriture fluide, aux données pertinentes, véritable manuel critique que tous les étudiants en « sciences de la communication » devraient lire. L’auteur a anticipé bien des évolutions de la numérisation du monde et de la médiologie. Son but est d’étudier « les moyens techniques qui permettent en principe d’informer aujourd’hui l’opinion ». Aussi va-t-il relater l’histoire des « media » (« Le mot “media” dit entremise d’un appareil matériel ou social qui, sous une forme ou une autre, s’impose et prélève sa dîme. »), l’industrialisation des supports, la production des messages, l’autocensure des journalistes, la confiscation de certaines informations et le formatage d’une « culture de masse » qui passe pour « vraie » puisqu’elle se trouve dans le journal ou montrée à la télévision.
S’ensuit une difficulté : comment s’informer, au sens de « connaître » ? D’autant, que pour l’auteur, l’information se résume à « quelques gouttes de connaissance dans un océan d’ignorance ». Sans oublier que la publicité (ou la propagande) finance les médias et homogénéise les messages, qui s’apparentent au divertissement. La standardisation des informations se répand à la vitesse des « actualités » et les impersonnalise. On ne s’informe plus pour former son esprit critique, mais pour consommer des données venues d’ailleurs et présentées comme objectives, donc indiscutables ! « On peut comparer l’information illusoire reflétée par les media à celle d’un miroir qui, renvoyant à un homme l’image de sa présence dans l’entourage, lui dissimule ce qu’il recouvre. »
Que faire ? « De la quête personnelle et passionnée de la vérité naît le désir de s’informer du vrai. On voit à quel point le refus de toute norme spirituelle et morale au nom de l’objectivité par les professionnels du scoop, le bouleversement des valeurs par une actualité changeante, interdisent l’information aussi sûrement que le diktat d’une Vérité totalitaire. Or aujourd’hui si l’ersatz de connaissance pullule, jamais l’opinion n’a été aussi peu informée sur l’essentiel : de ses raisons d’exister sur terre et de ce qui met en cause cette existence. Faute de mieux elle en est réduite aux placebos des partis et des sectes. Il n’est d’information que là où des individus librement associés en opinion ont motif de se réunir pour des raisons spirituelles puis pratiques. On excusera l’énormité d’un truisme devenu aujourd’hui paradoxe. »