
Le cabinet du professeur Adorno
La publication du cours d’esthétique prononcé par Théodore W. Adorno pendant l’année 1958-1959 ouvre à une compréhension plus fine de la pensée esthétique de l’auteur. Il permet d’en situer l’héritage dans le traumatisme d’une génération marquée par le stigmate indélébile de la Première Guerre mondiale.
C’est toute une génération spirituelle d’Allemagne qui a dû – et su – dévisager l’histoire avec des yeux épouvantés d’Apocalypse, même si certains de ses protagonistes, tel Adorno, gardèrent les yeux secs : apocalypse profane dès lors. Refusant l’attente d’aucune révélation, d’aucun dieu à venir salvateur, endurant le délaissement d’Ariane à Naxos. On n’éprouve pas comme il convient le tranchant de la pensée d’Adorno, jusque dans ses œuvres plus proprement esthétiques, ainsi par exemple ses références à Valéry, voire son amour pour Alban Berg, si on la soustrait à cette constellation de Ténèbres.
Son dictum, lu dans Prismes1, pointant la barbarie de tout art après Auschwitz, ayant aujourd’hui viré trivial, a effacé toute perspective et nous dissimule que pour cette génération, en fait, l’Apocalypse a frappé son premier coup en 1914. C’est alors que le Ciel s’est initialement déchiré, que le Jour a basculé définitivement, grimace de la Nuit. L’ébranlement spirituel, aussi bien pour Patoćka, part de cette archi-catastrophe, du choc propagé par la rencontre du prôton pseudos de la culture et de l’histoire.
Il est, bien sûr, inutile de souligner l’intérêt de la récente traduction, due à deux très grands spécialistes (Antonia Birnbaum et Michel Métayer), du cours d’esthétique, un des six cours recensés sur ce thème, prononcé par Adorno lors du semestre d’hiver 1958-1959,