
La liberté de conscience de Dominique Avon
Une véritable somme sur la liberté de conscience : tel apparaît cet ouvrage, impressionnant par son volume, mais surtout par la diversité des sources (quelque 4 500 selon l’auteur) et des données historiques, les écrits et actes juridiques exposés dans leur pluralité contradictoire. Cette agrégation de fils et de contre-fils disparates est nécessaire pour appréhender de façon adéquate la trame de l’histoire, au cours long et cahoteux, de la liberté de conscience.
La question de cette liberté est majeure dans la vie en société. S’y joue la condition vécue des personnes et de leurs relations mutuelles en matière de religion et de convictions partagées ou non, donc en matière de théories du sens de l’existence. À nos yeux d’héritiers, c’est une question qui pourrait paraître a priori simple à comprendre. Pourtant, l’ouvrage de Dominique Avon montre combien, dans ses enjeux inséparablement individuels et collectifs, ses menaces de violence et ses dilemmes jamais résolus de façon définitive, la liberté de conscience s’avère toujours d’une extrême complexité.
L’auteur déploie la notion dans le temps (« deux millénaires et demi ») comme dans l’espace (le monde entier). Malgré cette immensité de données réunies, le regard se focalise sur les théories qui sont de nature à retenir notre attention dans le présent : hindouisme, bouddhisme, confucianisme, judaïsme, christianisme, islam. Partout se sont manifestées et se manifestent encore des marges subversives, devenues décisives dans des processus qui finissent par imposer la question avant qu’elle ne devienne reconnaissance universelle en bonne et due forme de la liberté de conscience. Le lecteur est convié à un périple en six épisodes, celui concernant les « années 1940-fin des années 1960 » étant placé au début, afin de faciliter la compréhension de ce que Dominique Avon met au cœur de sa démarche : « le rapport triangulaire entre un sujet individuel, une autorité politique et une autorité religieuse ». Ainsi, l’invention de la liberté de conscience a partie liée avec celle de l’individu en tant que sujet de droits inaliénables, au nom de sa primauté reconnue par rapport à tout groupe de rattachement.
On découvre ainsi comment les chemins de la liberté de conscience se tracent à travers des conceptions différenciées de la « tolérance » comme de la « liberté religieuse ». Alors que les libertés religieuses ont été longtemps susceptibles d’exister, fût-ce de manière aléatoire, sur différents territoires, selon des modalités de portée collective, la liberté de conscience a, pour sa part, une norme fondée sur des modalités de portée individuelle. Elle implique de reconnaître à quiconque la possibilité publique de croire sous quelque forme que ce soit, comme de changer de croyance, mais aussi de « ne pas (ou plus) croire ». Et aussi celle de se comporter à l’avenant, sans se voir pour autant inquiété, mieux : en étant traité à égalité de considération avec tous. Une telle norme n’a émergé que tardivement et à l’arraché, sur l’espace occidental, d’abord comme une idée dont l’expression est plus ou moins tolérée (xvie siècle) avant de l’être comme un principe à peu près reconnu (xviiie siècle), et in fine comme un principe universel reconnu de droit imprescriptible par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (art. 18).
L’auteur de cette recherche a réalisé un travail considérable, et on ne voudrait pas excessivement le chicaner. Néanmoins, pour la forme, on regrette le grand nombre de coquilles, les citations non traduites (de l’anglais notamment, que tout le monde n’est pas censé connaître), l’index imparfait des noms et d’autres index manquants, qui eussent été utiles. Sur le fond, pour la période la plus contemporaine, s’il décrit très utilement la diversité interne de l’islam (chiite, sunnite), on aurait aimé qu’il ne se contente pas du catholicisme le plus officiel, celui du Vatican à Rome. De même, on regrette qu’il n’ait pas vu, quitte à critiquer cette dérive, combien la liberté de conscience s’était déplacée vers les questions dites « sociétales », donc sur le terrain de l’éthique, où les religions et les confessions exercent pour la plupart une énorme pression sur les États désireux de changer leurs législations… Ces réserves mises à part, on peut et on doit saluer un travail d’une ampleur exceptionnelle, sur un thème décisif aujourd’hui comme hier, et dans le monde entier.