
Au pied du Mur. Vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem (1187-1967) de Vincent Lemire
Religion, sociologie, politique et urbanisme menant au tourisme culturel se mélangent dans cette étude qui prolonge les premiers ouvrages de Vincent Lemire sur Jérusalem. Elle est saisissante grâce aux archives reproduites.
Les spectateurs d’Histoire d’un regard (Mariana Otero, 2020) se souviennent encore du regard émerveillé de Vincent Lemire découvrant l’ensemble des pellicules utilisées par Gilles Caron lors de son reportage sur la guerre des Six Jours. Le photographe français a en effet été l’un des derniers témoins et représentants du quartier maghrébin de Jérusalem, avant sa destruction lors de la conquête de Jérusalem-Est par les troupes israéliennes. Cet acte de dégradation et l’expulsion des habitants forment une des révélations de cette étude, qui parvient à attribuer ces décisions à l’armée israélienne et les inscrire dans la longue histoire de la communauté maghrébine.
Cette histoire débute par l’établissement d’un bien waqf, propriété foncière inaliénable dans le droit musulman, à destination des pèlerins musulmans venant visiter Jérusalem, en 1320. Le quartier maghrébin rejoint ainsi d’autres fondations islamiques dans la ville sainte, selon des statuts qui paraissent inadaptés à l’époque moderne : impossibilité de modifier, d’annuler ou de contester cette donation, sous peine d’en répondre à Dieu lors du jugement des âmes.
La partie la plus singulière de l’étude concerne le rôle de la France dans la gestion de ce quartier. Après 1830, en effet, les habitants maghrébins du quartier passent sous l’autorité diplomatique et légale française, à mesure des conquêtes coloniales. L’auteur fait ainsi découvrir le rôle de l’islamologue Louis Massignon dans la mise en valeur de ce quartier, pouvant s’inclure dans une politique ouverte de la France envers le Maghreb, même si, pendant la guerre d’Algérie et après les indépendances, autant le colonisateur que les nouveaux États s’en désintéressent.
La destruction du quartier est analysée comme un prolongement des projets d’une frange radicale du sionisme, pour laquelle Jérusalem devait être débarrassée d’une présence multiséculaire de musulmans à proximité du Temple ; mais aussi dans la ligne des intentions des autorités israéliennes et hiérosolymites (le quartier maghrébin se trouvant à proximité du dôme du Rocher, sa destruction en facilitait l’accès tout en « dégageant la vue », donnant une impression de netteté à la vieille ville de Jérusalem).
Religion, sociologie, politique et urbanisme menant au tourisme culturel se mélangent dans cette étude qui prolonge les premiers ouvrages de Vincent Lemire sur Jérusalem. Elle est saisissante grâce aux archives reproduites.