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Notes de lecture

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La Renaissance des campagnes. Enquête dans une France qui se réinvente de Vincent Grimault

avril 2021

D’après le nouveau zonage territorial défini par l’INSEE en octobre 2020, neuf Français sur dix sont urbains, au sens où ils vivent « dans l’aire d’attraction d’une ville ». Que reste-t-il donc de nos campagnes ? Elles ne sont même plus définies à partir de leur caractère propre (l’activité rurale, les paysages, un mode de vie…) mais comme un « reste », ce qui n’est pas urbain, ce qui n’est pas dense. La définition administrative de nos espaces de vie (ville-centre, périphérie…) à partir de notions abstraites, cherchant à rendre compte de nos modes d’appropriation de l’espace, en particulier de notre mobilité (les allers et retours vers le travail, notamment), reste largement ignorée par des Français marqués par l’exode rural et les images de carte postale opposant les villes aux campagnes.

C’est pour réagir contre cette méconnaissance et contre les discours faciles sur le déclin, voire « l’abandon » de nos territoires, que Vincent Grimault a décidé d’écrire ce livre. Contre une vision excessivement pessimiste de nos divisions territoriales, et plus généralement pour répondre au sentiment de « souffrance spatiale » française, diagnostiqué par ailleurs par Bruno Latour, il montre à travers cette enquête des raisons d’optimisme et construit même une autre cartographie, résolument positive, de la France. Journaliste pour le mensuel Alternatives économiques, il déploie ici reportages, entretiens, portraits, statistiques et mise en débat de la littérature savante sur le développement économique de nos territoires. Rempli d’informations et d’exemples concrets, ce livre démontre qu’on ne peut plus parler au singulier du monde rural, et que ce sont des espaces d’avenir, si l’on prête attention à ceux qui s’y investissent.

Les chapitres centraux sont consacrés à trois situations très contrastées, rendant compte de trois dynamiques différentes des campagnes françaises aujourd’hui. D’abord, des campagnes « fragiles » : zones de moyenne montagne, un peu isolées, dans le Massif central et le quart Nord-Est, en particulier les Vosges. Là, les difficultés se cumulent : peu d’emplois, une population vieillissante, une économie dépendante des transferts publics, un sentiment d’isolement et surtout l’impression qu’il suffirait d’un fléchissement de l’activité pour qu’une spirale négative emporte tout. Pourtant, personne ne baisse les bras et une prise de conscience s’opère : même reculés, même « oubliés », ces territoires ont des atouts. Peu denses, ils sont attractifs. Laborieux et solidaires, ils gardent des ressources précieuses comme le bois ou des productions agricoles qui peuvent monter en gamme.

D’autres campagnes, ensuite, connaissent une vraie renaissance. Elles gagnent de nouveaux habitants, attirés par la qualité de vie, l’aspiration à un style d’existence alternatif, proche de la nature. C’est le cas de la vallée de la Drôme, dynamisée par un projet de « bio-vallée ». L’agriculture est relancée, un tourisme de qualité se développe, de nouveaux arrivés font vivre l’économie locale.

Les campagnes, enfin, sont aussi des espaces productifs, industriels, innovants. Tradition ancienne (Jura, Savoie…) ou plus récente (ici la Vendée et la région d’Albi), des clusters industriels dont on parle peu se portent bien. Pourquoi installer de nouvelles activités en ville alors que du foncier disponible, de la main-d’œuvre et des équipements se trouvent à la campagne ? Comme le dit un entrepreneur cité dans le livre : « Pour produire, il faut l’autoroute, la fibre et du foncier. » Des perspectives d’avenir s’ouvrent dès lors pour les territoires peu denses, pour peu qu’on croie en leur potentiel et qu’on s’affranchisse d’un réflexe d’autoflagellation entretenu pour faire pression sur l’État et récupérer des aides ciblées sur les « défaillances » du territoire.

Les métropoles ne sont donc pas les seuls territoires d’avenir. Vincent Grimault restitue avec équilibre l’intense débat qui oppose les spécialistes de la géographie économique sur ce sujet. Force est de constater le pouvoir d’attraction des métropoles et leur capacité d’entraînement sur leur territoire proche. L’observation ne vaut pas seulement pour la France : le phénomène est international et d’ailleurs lié à la mondialisation. Mais les territoires peu denses ont aussi des réponses à donner dans le cadre d’une économie qui doit changer de modèle, se décarboner, réduire la mobilité, protéger l’environnement. C’est ce que nous vivons avec la crise sanitaire : l’aspiration à une moindre densité va s’affirmer, et pas seulement comme une utopie post-matérialiste.

Vincent Grimault conclut avec un véritable mode d’emploi du développement territorial local : d’abord, que les acteurs locaux apprennent à coopérer (en dépassant les querelles de clocher !), qu’ils identifient leurs ressources territoriales (étant entendu qu’aujourd’hui, le simple fait d’avoir de l’espace disponible est désormais un atout majeur), trouver le bon accompagnement public et surtout dépasser l’autocensure et la résignation. On suit volontiers l’auteur dans son projet de valoriser des expériences territoriales qui marchent. Il donne ainsi les moyens de retrouver un regard positif sur l’espace hexagonal, alors que des politiques publiques par ciblages opposent, par leurs catégorisations, territoires « d’avenir » et zones en déficits. Il est temps de mettre à jour nos représentations, non pas pour aider les campagnes à coups de subventions, mais pour se rendre compte qu’elles savent inventer d’elles-mêmes des voies d’avenir.

Seuil, 2020
320 p. 21 €

Marc-Olivier Padis

Directeur de la rédaction d'Esprit de 2013 à 2016, après avoir été successivement secrétaire de rédaction (1993-1999) puis rédacteur en chef de la revue (2000-2013). Ses études de Lettres l'ont rapidement conduit à s'intéresser au rapport des écrivains français au journalisme politique, en particulier pendant la Révolution française. La réflexion sur l'écriture et la prise de parole publique, sur…

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