
Dostoïevski de Julia Kristeva
Julia Kristeva, psychanalyste et critique littéraire, réfléchit sur l’œuvre de Dostoïevski, avant d’offrir une anthologie thématique. Dans un essai qui oscille entre l’intime et l’analyse littéraire (et psychanalytique), elle raconte sa découverte, alors qu’elle était encore citoyenne d’une Bulgarie membre de l’URSS, des romans du « géant russe », considéré à l’époque comme une figure dangereuse à proscrire de l’imaginaire national. « Explorateur clinique [du] sous-sol des passions humaines », l’auteur de L’Idiot, au travers de romans « polyphoniques », donne à voir la nature dialogique du rapport de l’être parlant à son milieu. Dans une époque marquée au coin du désenchantement, les personnages dostoïevskiens – ceux que Kristeva, après Lacan, nomme des « parlêtres » – circulent dans un univers « immotivé », où le « Tout est permis » semble avoir ruiné la possibilité d’un sens satisfaisant. « Sur le fil du crime et du sublime », l’écrivain entraîne ainsi son lecteur à la lisière du tolérable – entre parricide, viol et pédophilie – pour signifier, peut-être, les dangers de « l’insignifiance ». La représentation des interstices, des errances et des gouffres du peuple russe est d’abord et avant tout un moyen par lequel Dostoïevski mène des « entretiens infinis hors de soi avec soi ». Auto-analyse détournée, la littérature dostoïevskienne va entre l’intime voilé et l’universel qui se montre.