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Notes de lecture

Dans le même numéro

Une terre promise de Barack Obama

Trad. par Pierre Demarty, Charles Recoursé et Nicolas Richard

janv./févr. 2021

Réflexion dense sur l’exercice du pouvoir ou sur la marche du monde, ce volume donne aussi à mieux saisir les défis lancés à l’Amérique à l’heure où l’ancien vice-président de M. Obama, Joe Biden, accède à la présidence.

De ce premier tome des mémoires de Barack Obama ne ressort presque aucune anecdote qu’une campagne et une présidence médiatisées à l’excès n’aient laissé fuiter dans la presse américaine ou dans les récits rédigés par les membres de l’administration du président démocrate (2009-2017). On y découvre au mieux quelques éléments sur la jeunesse d’un homme qui se présente avec simplicité, mais apparaît dévoré par l’ambition d’aller toujours plus loin en politique. Modeste élu local, il contemple une circonscription tenue par un ponte de son parti ; sitôt défait lors de cette élection législative, il met le cap sur le Sénat ; à peine élu sénateur, son équipe et lui songent à la présidence. On connaît la suite. Manichéen, l’homme explique que cette ambition peut avoir un envers positif, « en mettant cette quête de grandeur au service d’objectifs plus désintéressés ». L’intérêt de cet épais volume réside ailleurs. L’écrivain rappelle le talent qu’il a à tenir une plume ; le politique dévoile le fond de sa pensée ; et c’est un récit mettant savamment en tension pragmatisme et idéalisme qui émerge au fil des pages.

Sur la question raciale, d’abord. Alors que le mouvement Black Lives Matter est bien né au cours de la présidence du premier locataire afro-américain de la Maison Blanche, mécontenté par son manque d’action, on saisit mieux pourquoi M. Obama s’est gardé tôt de jouer la « carte raciale », suivant en cela l’avis des conseillers de sa campagne présidentielle : « Pour eux, la formule la plus immédiate afin de faire progresser les choses en la matière était très simple – nous devions gagner. Et cela voulait dire s’assurer le soutien non seulement des étudiants blancs de gauche, mais de tous les électeurs qui ne parvenaient à m’imaginer installé à la Maison Blanche qu’au prix d’un effort psychologique considérable. » Fort de son expérience autant que de celle de la communauté afro-américaine, le président insiste : à trop mettre l’accent sur des sujets jugés spécifiques à la population noire, « on risquait de susciter la méfiance, sinon le rejet, de la grande majorité des électeurs ». Fallait-il être plus véhément sur ces questions ? Conscient des risques et des critiques, M. Obama confirme : « Non. Tout l’intérêt était de gagner » afin de « dépasser les anciennes logiques » et de mettre en place « une majorité apte à gouverner autour d’objectifs progressistes ». L’ancien président ajoute qu’il lui fallait parler à tous les Américains et donc considérer les Blancs comme des « alliés », et que le combat en faveur des Afro-Américains devait s’inscrire dans une lutte plus large pour bâtir « une société plus égalitaire, plus juste et plus généreuse ». C’est de cette présidence que naîtront la réforme de l’assurance santé, celle de l’industrie financière, ou des actions en faveur de l’égalité salariale ou de l’environnement. Cela n’empêchera pas l’homme de se sentir frustré à plus d’une reprise sous le costume politique. Confronté aux remarques incendiaires de son ancien pasteur, il confiera qu’« une partie de moi était frustrée de devoir contourner en permanence la vérité brute de la question raciale dans ce pays afin de ne pas froisser les Blancs » – avant de se rallier au point de vue de ses stratèges et, là encore, de refréner ses passions.

Ce pragmatisme, il dit l’avoir hérité de sa grand-mère, attachée à des principes simples, douée dans son métier de banquière mais confrontée en tant que femme à un plafond de verre dans sa profession, tout en restant opiniâtre et en ayant élevé ses petits-enfants avec succès : « C’était grâce à elle, même dans les périodes les plus révolutionnaires de ma jeunesse, que j’étais susceptible d’éprouver de l’admiration pour une entreprise bien gérée, […] et grâce à elle que j’étais enclin à me méfier des déclarations grandiloquentes prônant le renversement de l’ordre établi et la refondation de toutes pièces de la société. » Il le met en œuvre dès son arrivée à la Maison Blanche, où les cent premiers jours de son mandat révèlent, dit-il, un trait fondamental de son caractère : « J’étais un réformateur, conservateur de tempérament à défaut de l’être dans la vision du monde. » Prêt à prendre des risques pour lui-même, il se refuse à menacer le bien-être et le quotidien de millions de concitoyens au nom d’idéaux trop éloignés.

Cette vision imprégnera son premier mandat, le poussant à rechercher des compromis sur un ensemble de sujets – plan de relance, santé, immigration, environnement – avec un adversaire républicain qui, lui, refuse de coopérer dès les premiers jours de sa présidence. De fait, le programme du président s’est heurté à un obstructionnisme sans précédent de la part de la droite américaine, qui l’a empêché de remettre les classes moyennes à flot, dans le sillage de la crise financière de 2008, aussi rapidement qu’il le souhaitait.

Conscient du potentiel de son pays, l’idéaliste apparaît parfois résigné face à sa réalité, comme lorsqu’une agence gouvernementale est prise en défaut lors d’un incident entraînant une marée noire qu’elle n’a pas anticipée correctement, faute de moyens. Curieusement, celui qui passe pour un brillant orateur se demande comment communiquer l’idée, face aux critiques de l’opinion, que, depuis trente ans, « une fraction importante de la population adhérait à l’idée républicaine selon laquelle le gouvernement est la cause de tous les problèmes » et élisait en conséquence des dirigeants qui ont travaillé depuis à favoriser l’impuissance du secteur public, ou que le plus simple pour empêcher les marées noires consistait à interdire les forages, mais que « pour les Américains, les grosses voitures et le prix de l’essence passaient avant la préservation de l’environnement, sauf lorsqu’ils étaient confrontés à une catastrophe ». Lors d’un voyage en Inde, il pose le même constat : le dirigeant Singh a joué le jeu des démocraties libérales, fait respecter l’ordre constitutionnel, stimulé la croissance et élargi la couverture sociale. Et M. Obama de noter : « Comme moi, il en était venu à considérer que c’était là tout ce que nous pouvions attendre de la démocratie, surtout dans les grandes sociétés multiethniques et multiconfessionnelles comme l’Inde et les États-Unis. » (Des populistes succéderont aux deux dirigeants.)

Dans les pages consacrées à la politique étrangère, on trouve nombre de ces portraits délicieux mais sans concession de ses homologues. Ainsi qu’une certitude : si la Chine est aujourd’hui la seule à pouvoir contester la prééminence des États-Unis, cela n’arrivera pas « avant des décennies – et […] si cela arrivait, ce serait surtout une conséquence d’erreurs stratégiques des États-Unis ».

Réflexion dense sur l’exercice du pouvoir ou sur la marche du monde, ce volume donne aussi à mieux saisir les défis lancés à l’Amérique à l’heure où l’ancien vice-président de M. Obama, Joe Biden, accède à la présidence.

Fayard, 2020
890 p. 32 €

Niels Planel

Niels Planel a travaillé pour l'un des principaux conseillers du Premier ministre Koizumi, à la Banque mondiale, puis comme assistant spécial de la directrice générale du Fonds vert pour le climat. Diplômé de la Harvard Kennedy School, il y a reçu le prix Lucius Littauer d'excellence académique. Il collabore depuis avec des organisations internationales, des associations et des municipalités sur…

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