
Qu’ils crèvent les critiques ! de Jean-Pierre Léonardini
Jean-Pierre Léonardini revient dans ce petit livre, écrit d’une plume le plus souvent amicale mais parfois rageuse, sur sa longue carrière de critique de théâtre pour L’Humanité. Beaucoup de souvenirs heureux dans une vie remplie par le théâtre… « quitte à négliger ce qui fait le sel de l’existence commune où l’on a tant d’autres chats à fouetter ». D’autres souvenirs moins heureux, comme celui de son premier Festival d’Avignon en 1968, annulé au grand dam de Jean Vilar, à la suite d’une censure absurde du préfet et aux manifestations devenues incontrôlables du Living Theatre. Pour le communiste encarté mais non diplômé, le choix fut vite fait entre « la fracassante théâtralisation du désir de révolution estudiantine revêtu de ses multiples oripeaux gauchistes » et « l’ossature civique héritée de Vilar, son sens de la mission d’État républicaine », même s’il n’était évidemment pas question de se fermer à toutes les innovations du théâtre bouillonnant des années 1960 et suivantes, à commencer par le Living lui-même. Après la nouvelle annulation du festival en 2003 en raison de la grève des intermittents du spectacle, Léonardini revient longuement sur le « scandale Jan Fabre », artiste invité en 2005 : « L’Histoire des larmes ne pisse pas loin », écrivait-il alors. En règle générale, ce dernier ne se montre guère indulgent envers le « théâtre post-dramatique » ou la « nouvelle subjectivité » qui relèguent le texte au second plan. Une position en accord avec sa définition du rôle du critique : « piquer la curiosité de ceux qui n’ont pas les clés, tempérer les louanges excessives, tirer de l’ombre des mérites moins apparents, démasquer les impostures petites ou grandes ». S’il tient la critique avant tout pour un « genre littéraire », il ne minore pas pour autant l’importance des outils au service de la critique : l’histoire du théâtre (qu’il a lui-même enseignée), l’histoire des formes et l’histoire tout court, et plus généralement les sciences humaines, le tout nourri par l’expérience accumulée au fil des pièces. Le livre peut être lu comme une histoire subjective du théâtre contemporain, parsemée de quelques accents d’une vertueuse indignation. L’auteur s’y montre étonnamment peu disert – venant de la part d’un critique communiste – sur le rôle politique du théâtre. S’il écrit quelque part « le théâtre peut tout », il constate néanmoins que la question du « non-public » demeure entière, malgré la décentralisation (les maisons de la culture, les scènes nationales) et autres tentatives de démocratisation de la culture.