
Françoise d’Eaubonne et l’écoféminisme de Caroline Goldblum
C’est la française Françoise d’Eaubonne (1920-2005) qui forge le néologisme « écoféminisme » en 1974 dans Le Féminisme ou la mort, année où pour la première fois un écologiste, René Dumont, se présente à l’élection présidentielle. Femme de caractère et de talent, qui mène sa vie professionnelle et amoureuse avec un sens aigu de la liberté, romancière (Comme un vol de gerfauts en 1947, Les Bergères de l’apocalypse en 1978…), historienne (Éros minoritaire en 1970 ; Les Femmes avant le patriarcat en 1977…), essayiste (Le Complexe de Diane. Érotisme et féminisme en 1951, Écologie et féminisme. Révolution ou mutation ? en 1978 ; Le Sexocide des sorcières en 1999…). C’est une militante, admiratrice de Simone de Beauvoir dès 1949 et la parution du Deuxième Sexe, elle signe le Manifeste des 121 pour le droit à l’insoumission en 1960 contre la guerre d’Algérie, le Manifeste des 343 salopes qui ont avorté en 1971 et cofonde le Mouvement de libération des femmes (Mlf) en 1970 et du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar) en 1971. C’est une infatigable activiste qui trouve dans l’écologie et les défis environnementaux, qu’elle porte au débat public, la cause à laquelle elle se dévoue. « Le féminisme, c’est l’humanité tout entière en crise, et c’est la mue de l’espèce ; c’est véritablement le monde qui doit changer de base. Et beaucoup plus encore : il ne reste pas le choix ; si le monde refuse cette mutation […], il est condamné à mort. Et à une mort à la plus brève échéance. Non seulement par la destruction de l’environnement, mais par la surpopulation dont le processus passe directement par la gestion de nos corps confiée au Système Mâle. » Elle combine féminisme et écologie, car les deux ont le même ennemi, la société masculine qui fait tout pour maintenir son pouvoir sur les femmes et sur la nature. Contre ce pouvoir, il convient d’opter pour la « contre-violence », car la non-violence s’avère sans effet, et frapper là, sans tuer, où « les points de rupture » sont fragiles. Ainsi le sabotage, le boycott, un certain terrorisme bien ciblé, ne sont pas à rejeter, tant que la violence du Système Mâle opprime la moitié du ciel… Curieusement, le féminisme en France ne popularise pas ses thèses et même les ignore. En revanche, en Allemagne, en Italie, en Inde et aux États-Unis, le mot « écoféminisme » pénètre le discours des féministes dès les années 1990. En France, il faut attendre 2019 pour lire des pancartes aux slogans écoféministes : « Pubis et forêts, arrêtons de tout raser », « Ma planète, ma chatte, sauvons les zones humides », etc. Le choix de textes est éloquent et l’on mesure à quel point Françoise d’Eaubonne avait vu juste, non seulement dans la dénonciation de tout ce qui dénature la nature, mais aussi dans les propositions pour changer de monde.