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Notes de lecture

Dans le même numéro

Le sens de la merveille de Rachel Carson

Trad. par Bertrand Fillaudeau

mars 2022

Mondialement célèbre, l’autrice du Printemps silencieux (1962), Rachel Carson (1907-1964), journaliste scientifique, a écrit de nombreux articles qui, regroupés, nous donnent de ses nouvelles. Les seize textes de ce recueil s’échelonnent de 1920 à 1964, année de sa mort, à la suite d’un cancer. Fille d’un fermier, elle découvre la nature en explorant le domaine familial et ses à-côtés. Étudiante en biologie marine, fonctionnaire de l’US Bureau of Fisheries, où elle rédige cinquante-deux épisodes d’une émission radiophonique de vulgarisation sur la vie aquatique, qui l’inciteront à écrire La Vie de l’océan, son premier succès de librairie en 1951. Elle doit lutter contre le sexisme ambiant et affronter les lobbies de l’industrie chimique, lorsqu’elle dénonce les dégâts causés par les insecticides et pesticides. Son incroyable sensibilité, associée à une grande capacité à observer le vivant, lui permet d’évoquer les interrelations qui se manifestent entre les plantes, les animaux, leurs milieux et les humains.

Ses lectures (Audubon, Thoreau, Emerson, Muir, etc.), ses recherches en laboratoire et surtout ses études in situ lui révèlent l’interdépendance des divers « éléments » constitutifs d’un même écosystème : tout est lié sur Terre, pour le pire comme pour le meilleur. Déjà à 13 ans, en 1920, dans « Le combat pour la vie progresse », elle note : « Que le déclin de la faune soit lié, de manière inéluctable, aux destinées humaines est désormais un fait acquis chez nous, la préservation est donc primordiale. La faune, il convient de le rappeler, disparaît parce que son habitat a été détruit. Or l’habitat des animaux sauvages est aussi le nôtre. »

En 1949, dans « Les mondes perdus : l’enjeu des îles », elle s’inquiète de la disparition de nombreuses espèces végétales et animales dont l’homme est responsable. Dans « Le bord de mer », publié en 1953, elle alerte les lecteurs sur les effets du réchauffement climatique sur la faune et la flore, mais aussi sur le sable, les larves, la qualité de l’eau, et constate que « personne ne vit pour soi-même ». Elle se promène, en 1956, avec son neveu dans la nature et s’extasie que celui-ci, qui a 4 ans, enregistre les noms de ce qu’il découvre et se satisfait de cette « école dehors ».

En 1963, elle complète son accusation de l’industrie chimique, responsable de nombreuses maladies environnementales et de dénaturation des milieux, et prononce un important discours, « La pollution de notre environnement », qui est d’autant plus émouvant qu’elle se sait condamnée. Elle connaît la puissance du lobby, et de ses alliés parmi les scientifiques qui vivent de ses subventions et mentent éloquemment, et sait à quel point tout combat nécessite énergie et vigilance pour que ses acquis se pérennisent. Elle espère, explique-t-elle à son public, que chacun acceptera, enfin, que « nous sommes liés à notre environnement ».

Le dernier texte, daté de septembre 1963, est une lettre à son inestimable amie Dorothy Freeman, rencontrée en 1953, à qui elle confie : « Pour les Monarques, ce cycle se mesure à l’aune du mois. Pour nous-mêmes, le métré est d’une autre nature, et nous n’en connaissons pas la durée. Mais l’idée est la même : lorsque ce cycle intangible a suivi son cours, il est naturel, et ce n’est pas une chose triste, qu’une vie arrive à sa fin. »

José Corti, 2021
176 p. 19 €

Thierry Paquot

Philosophe, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, il est spécialiste des questions urbaines et architecturales, et participe activement au débat sur la ville et ses transformations actuelles. Thierry Paquot a beaucoup contribué à diffuser l'oeuvre d'Ivan Illich en France (voir sa préface à Ivan Illich, La Découverte, 2012), et poursuit ses explorations philosophiques du lien entre nature,…

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Retrouver la souveraineté ?

L’inflation récente des usages du mot « souveraineté », venue tant de la droite que de la gauche, induit une dévaluation de son sens. Dévaluation d’autant plus choquante à l’heure où, sur le sol européen, un État souverain, l’Ukraine, est victime d’une agression armée. Renvoyant de manière vague à un « pouvoir de décider » supposément perdu, ces usages aveugles confondent souvent la souveraineté avec la puissance et versent volontiers dans le souverainisme, sous la forme d’un rejet de l’Union européenne. Ce dossier, coordonné par Jean-Yves Pranchère, invite à reformuler correctement la question de la souveraineté, afin qu’elle embraye sur les enjeux décisifs qu’elle masque trop souvent : l’exercice de la puissance publique et les conditions de la délibération collective. À lire aussi dans ce numéro : les banlieues populaires ne voteront plus, le devenir africain du monde, le destin du communisme, pour une troisième gauche, Nantes dans la traite atlantique, et la musique classique au xxie siècle.