
Travailler moins, travailler autrement, ou ne pas travailler du tout de Serge Latouche
Principal théoricien de la décroissance, Serge Latouche, de livre en livre, aborde la plupart des sujets de société, comme le religieux avec Comment réenchanter le monde. La décroissance et le sacré (Rivages, 2019) ou l’alimentation avec L’Abondance frugale comme art de vivre. Bonheur, gastronomie et décroissance (Rivages, 2020). Cette fois, c’est le travail qu’il examine sous toutes les facettes.
La Covid-19 a généralisé le télétravail (totalement dépendant des macro-réseaux !) et contraint à une « décroissance forcée », mais au lieu de tester la conviction décroissante de « travailler moins pour vivre mieux », les pouvoirs publics relancent l’activité en soutenant massivement l’aéronautique et l’automobile et en demandant au tout-numérique d’impulser une vaine « croissance verte ». Les Gafam roulent pour elles-mêmes, contrairement à une idée reçue, et se localisent là où les bénéfices sont les plus importants : « avec la mondialisation au niveau local, note subtilement Serge Latouche, nous sommes en face de territoires sans pouvoir à la merci de pouvoirs sans territoire ».
C’est pourtant à partir du local que des alternatives peuvent s’opposer à la globalisation, comme le remarquait déjà André Gorz à la fin du siècle dernier, un local ni autarcique ni enfermant mais émancipateur, comme la « biorégion » préconisée par Alberto Magnaghi. Le salariat n’est pas le rapport social dominant ; aussi Serge Latouche étudie-t-il la « débrouille », le « bricolage », l’« illégal », etc., qui participent au secteur informel dans la plupart des pays du Sud et qui ont leurs équivalents au Nord, avec « des compagnons d’Emmaüs, des chineurs de brocante, des ramasseurs de vers de vase en baie de la Somme ou des bricoleurs de la Grande Brière », pour qui cette marginalité choisie est avant tout, malgré sa précarité, source de liberté.
Mais pour la majorité des Terriens, le salariat s’avère positif (et relève de la servitude volontaire) et l’idéologie « croissantiste » est admise comme allant de soi : sortir du capitalisme ne se fera pas facilement… « La limitation plus ou moins forte des besoins et des inégalités tolérées, autrement dit la frugalité volontaire, engendrera le sentiment d’abondance pour les citoyens d’une cité délivrée du déchaînement incontrôlé de l’hubris du pouvoir et de la richesse, et cela quelles que soient la sophistication des techniques et l’importance des équipements. » Ouvrage riche en réflexions, sans illusions sur la transition écologique, nécessaire mais entravée par toute une économie capitaliste qui, malgré les dégâts qu’elle provoque, suscite l’adhésion, y compris de ses victimes.