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Les Pouilles, entre hier et demain

septembre 2022

Apulia, mystères des pouilles entre terre, pierres et mer, à l’Institut culturel italien de Paris, jusqu’au 28 septembre 2022

L’Institut culturel italien nous invite à découvrir les Pouilles, ce talon de la botte que forme la péninsule italienne. Plantée entre l’Adriatique et la mer Ionienne, cette région méridionale attire chaque année de nombreux visiteurs amoureux d’histoire, d’authenticité, de gastronomie et de plage.

Son amour pour son Apulia natale a inspiré à la commissaire d’exposition, Francesca Marocchino, le fil conducteur de la pierre. Désireuse de donner un supplément d’âme à l’image que l’on peut avoir de sa région, l’historienne de l’art, qui anime également un réseau d’Italiens originaires des Pouilles en France, a donc imaginé un parcours qui rassemble des pièces issues de l’Antiquité, des créations contemporaines et des photographies. Celles-ci sont à la fois des clichés qui reviennent sur le passé médiéval de la région et des prises de la ville de Bitonto, que l’artiste Domenico Fioriello a collées au mur pour reproduire une vue aérienne du centre historique. L’ensemble prend la forme d’une mosaïque pixelisée où se mêle photographie et géométrie, vue terrestre et vue du ciel, passé et présent, lieu vécu et lieu planifié.

Cette œuvre est ainsi à l’image d’une exposition qui entend lier le passé prestigieux à l’avenir de cette région. C’est en effet le vœu d’Aldo Patruno, directeur général du tourisme des Pouilles, pour qui la région est une terre de rencontres avec d’autres cultures, notamment la culture grecque ancienne. Cet éloge du métissage ne peut que faire réfléchir, à l’heure où la tentation d’un repli nationaliste se généralise dans le monde et que l’accueil des réfugiés et des migrants demeure une question sensible en Italie. Cette exposition considère ainsi l’ouverture à l’autre comme un enrichissement plutôt que comme un appauvrissement.

La section archéologique rappelle ainsi le passé antique des Pouilles, au cours de laquelle la région devint une colonie grecque sous le nom de Magna Græcia. Cette occupation grecque produisit des pièces magnifiques, comme ce oinochoe (pichet à vin) formé sur une tête de femme aux cheveux et aux yeux rouges ou cette petite figurine d’une acrobate, datant de la fin du ive siècle avant Jésus-Christ.

La section médiévale met en lumière l’apport des cultures byzantine, lombarde, normande, souabe, sarrasine, à l’origine de constructions architecturales aux formes et aux styles d’une fascinante diversité et dont certains murs gardent des fresques magnifiques. Est également révélée l’évolution architecturale des lieux de culte, du Haut Moyen Age jusqu’au xiiie siècle, grâce au travail de photographes de la région et de médiévistes.

Enfin, c’est également par l’art que ce dialogue entre passé et avenir est réalisé en invitant, dans le jardin de l’Institut, deux œuvres d’artistes contemporains : Lino Sivilli et Francesco Schiavulli. Le premier y expose une sculpture, Macchina selezionatrice dei raggi solari, qui, par l’ombre au sol qu’elle projette et dont la forme varie au cours de la journée, comme par la rouille qui la constitue, mesure et se trouve mesurée par le temps. Le second y présente Ultima cena, une installation qui se compose de trois plateaux de fer remplis de terre, au-dessus desquels sont suspendus sur des tiges métalliques. La structure peut rappeler la table des Apôtres dans le dernier repas peint par De Vinci en 1495. Mais la conversation qui accompagne cette œuvre et qui est diffusée à l’aide d’enceintes n’a rien de celle que le Christ a pu avoir pendant le repas au cours duquel il a partagé son corps et son sang. On entend en effet une voix relater l’instauration, dans un temps et une nation inconnue, de l’« euthanasie heureuse ». L’artiste imagine que la mort assistée n’est ni une interdiction ni un droit, mais est devenue obligatoire dès l’âge de soixante ans. Le récit se termine sur cette phrase : « Fermez les yeux, sans douleur, et laissez la place à d’autres. » On se demande si les plateaux remplis de terre ne seraient pas des tombes ou des semis, les signes d’une mort qui doit faire germer un monde nouveau. Mais de cette terre ne pousse rien, sinon des oreilles sans tête, comme pour signifier une humanité hors sol et désincarnée, réduite une écoute docile. Dans le contexte de l’exposition, cette œuvre peut être considérée comme une mise en garde contre la tentation de se couper de son histoire pour en fabriquer une nouvelle.

Les œuvres réunies s’inscrivent dans un travail de valorisation du patrimoine apulien. Aldo Patruno cite ce proverbe : « On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes. » Un défi pour un xxie siècle qui n’a d’autres choix désormais que de se réinventer pour espérer offrir aux génération futures une terre vivable, mais aussi une histoire altruiste et enracinée pour mieux accueillir l’avenir.

Bertrand Naivin

Bertrand Naivin est théoricien de l’art et des médias. Après avoir travaillé sur une relecture des œuvres du pop art américain, ses travaux actuels portent sur le selfie, les réseaux sociaux et le smartphone comme producteurs d’un nouveau rapport à soi, aux autres et au monde. Il est l’auteur de Vivre à l’heure de l’innocence impossible (L’Harmattan, 2021) ; Tous en ligne ! Vivre à l'heure de