
Les ambivalences du progrès
L’enquête qui suit met à l’épreuve un certain nombre de discours contemporains venus de l’écologie politique, et d’une critique postcoloniale de l’histoire occidentale, qui envisagent la modernité non depuis ses « promesses non tenues », mais comme une impasse dans laquelle nous serions engagés. Le réchauffement climatique, mais aussi une crise économique sans fin, la défiance à l’égard de la technique et les excès de l’individualisme sont devenus des signes d’un doute sur la supériorité de notre présent sur le passé, et donc d’un divorce contemporain avec le projet moderne. Cette enquête a ainsi pour but d’évaluer la promesse moderne de progrès : faut-il dénoncer sa trahison et militer pour qu’elle soit enfin tenue ? Ou bien faut-il considérer au contraire qu’elle a été trop bien tenue et que le problème vient de la promesse même ?
Des modernités multiples
Les Lumières occupent une place privilégiée dans l’histoire de la modernité. Elles ont perçu les transformations sociales comme une rupture qui les engageait à la réflexivité. Les travaux d’Antoine Lilti, professeur au Collège de France, portent précisément sur l’histoire sociale et culturelle des Lumières dans l’Europe du xviiie siècle1. Alors que la critique postcoloniale appelle à « provincialiser l’Europe2 », l’historien nous invite à reconnaître une pluralité de voies d’entrée dans la modernité, sans abandonner pour autant l’horizon d’universalité.
Antoine Lilti – Il faut réussir à penser ensemble deux propositions. D’une part, l’Europe a joué un rôle essentiel dans l’histoire de la modernité, conçue comme ensemble de transformations sociales, économiques, techniques et morales. Elle en a été le moteur, aux xviiie et xixe siècles ; elle l’a exportée (le plus souvent par la force) ; elle a suscité imitation et émulation. Le monde moderne est largement un monde occidentalisé. D’autre part, les pratiques et valeurs de la modernité ont pris des formes différentes dans chaque contexte, elles se sont hybridées avec des traditions et des pratiques locales, parfois avec des formes endogènes de modernité, par exemple au Japon. Surtout, le grand récit de la modernité européenne, qui reposait sur la conviction que ses trois piliers (le progrès économique et scientifique, le libéralisme politique et la sécularisation) étaient nécessairement liés, ne tient plus : nous savons désormais que le capitalisme et la science font bon ménage avec des régimes autoritaires (la Chine) ou encore que la modernité technologique est compatible avec des courants religieux traditionalistes (aussi bien chez les évangéliques américains que pour certains mouvements islamistes).
Dès lors, il faut reconnaître qu’il existe non seulement des entrées différentes dans la modernité, mais des « modernités multiples3 ». Qu’en est-il des Lumières, dans ce cadre ? L’erreur serait de les voir comme le programme idéologique de la modernité, comme une philosophie de l’histoire progressiste et modernisatrice. En réalité, les Lumières sont plutôt une conséquence de la première modernité, de la crise normative de l’Europe chrétienne, des guerres de religion, de l’émergence des États proto-nationaux et de la première mondialisation, celles des xvie et xviie siècles. Elles cherchent à penser les ambivalences de la modernité, ses contradictions, à partir d’une conviction : la portée émancipatrice de la connaissance. Elles sont tiraillées entre un principe universaliste, celui de l’unité de la nature humaine, qui tend au cosmopolitisme, et l’affirmation de l’exemplarité du modèle européen, qui aboutit à classer les sociétés et les cultures selon l’axe historique et anthropologique de la civilisation, où l’Europe figure toujours le pôle avancé. C’est pourquoi l’héritage des Lumières est beaucoup plus riche et complexe que ce qu’en disent ses contempteurs, mais aussi, souvent, ses défenseurs.
Aujourd’hui, l’Europe n’a pas – ou n’a plus – le monopole des Lumières.
Opposer l’universalisme des Lumières et la critique postcoloniale est une impasse, car cette dernière, à bien des égards, se nourrit d’une tradition autocritique interne à la modernité européenne qui, de Rousseau à Diderot, de Swift à Herder, traverse la pensée du xviiie siècle. Aujourd’hui, l’Europe n’a pas – ou n’a plus – le monopole des Lumières. D’une part, celles-ci ont été reçues, traduites, appropriées dans d’autres parties du monde, de l’Amérique du Sud jusqu’au Japon et à la Chine, en passant par la Turquie. D’autre part, il est peut-être temps de sortir, sur ce plan aussi, de l’exceptionnalisme européen, en reconnaissant que d’autres sociétés ont valorisé le savoir, la critique des dogmes, la liberté humaine. Il ne s’agit pas de nier la spécificité des Lumières européennes du xviiie siècle, mais de la resituer dans une histoire plus large. C’est à ce prix qu’on peut continuer à défendre un horizon d’universalité, non en proclamant, depuis une position d’autorité, la supériorité des valeurs européennes, mais en faisant droit aux critiques postcoloniales qui revendiquent la prise en compte d’un monde pluriel et la diversité de ses héritages intellectuels.
Des progrès possibles
Le mal, qui sape notre confiance nécessaire dans le monde pour que nous puissions nous y orienter, pose la question du progrès comme occupant la place de la théodicée dans la modernité4. Susan Neiman, directrice du Einstein Forum de Potsdam et spécialiste de la philosophie des Lumières, prend ses distances avec les penseurs de la sécularisation et souligne l’importance de l’idée de progrès comme principe de la modernité.
Susan Neiman – La force motrice de la réflexion philosophique est la tentative de donner du sens à un monde dans lequel il y a du mal. La religion est sans doute la manière la plus facile de le faire, si l’on peut y croire. Mais la religion est une réponse à des questions philosophiques que nous nous posons tous, et non l’élément premier que l’on doit ensuite remplacer par quelque substitut moderne. La sécularisation est un aspect important de la modernité, mais je ne partage pas l’opinion de ceux qui voient toutes sortes de choses comme des substituts de religion.
Une critique récurrente est que les penseurs des Lumières croyaient en un progrès nécessaire et indéfini, en un triomphe de la technologie, une croyance qui ne peut pas tenir après Auschwitz, Hiroshima ou la crise climatique. Mais aucun des auteurs sérieux des Lumières ne croyait – à l’exception possible de Condorcet – que le progrès était nécessaire ; ils pensaient seulement que le progrès était possible, et qu’il dépendait de nous. Jusqu’au milieu du xviiie siècle, on considérait que l’histoire suivait un cycle, ou qu’elle constituait un lent et long déclin depuis un Âge d’or (et que, si les choses devaient s’améliorer, ce serait après la mort ou par la grâce de Dieu). Les écrits de Rousseau sont les premiers à considérer les êtres humains capables de travailler ensemble à l’amélioration de leur condition. Une telle conception était révolutionnaire et devait servir de fondement à toute critique politique progressiste5.
Si la radicalité des Lumières tient dans une ambition collective d’émancipation par le savoir, qui s’appuie sur la liberté d’expression et l’instruction généralisée, nous sommes aujourd’hui plus sceptiques quant à notre capacité à effacer les préjugés.
Antoine Lilti – Les grandes théories sociologiques de la modernité se sont concentrées sur la révolution industrielle, l’individualisme libéral, la division sociale du travail, mais elles ont curieusement été moins attentives à la révolution de la communication et au développement des médias de masse. Jürgen Habermas écarte ainsi les médias modernes de sa théorie de l’espace public bourgeois : ils n’y apparaissent que comme une force négative, responsable de la reféodalisation de l’espace public, à rebours de l’idéal d’une communication éclairée, pensée sur le modèle horizontal de la conversation entre égaux6. Pourtant, la publicité comme idéal de libre discussion des affaires communes est imbriquée dans la publicité comme forme nouvelle de communication médiatique, attisant la curiosité des lecteurs et des lectrices, des spectateurs et des spectatrices. La curiosité est à la fois un principe qui suscite la quête de savoir, au cœur de la dynamique intellectuelle des temps modernes7, et un mécanisme sociologique, alimenté par la circulation des livres et des journaux, et par les nouveaux moyens commerciaux de captation de l’attention. Le public n’est donc pas seulement formé par l’échange d’arguments entre personnes privées, mais constitué par les nouveaux moyens de communication à distance8. Le « crédit », qui désigne à la fois les mécanismes économiques de la consommation et les formes de pouvoir fondées sur la réputation des individus, permet de penser la révolution médiatique qui transforme non seulement la circulation des idées et des informations, mais aussi la valeur des personnes. Au cœur des Lumières, on trouve ainsi une réflexion inquiète sur les conditions de l’autorité intellectuelle et scientifique dans un espace public dominé par les nouvelles dynamiques médiatiques.
Il faut pourtant bien constater le divorce entre progrès technologiques et politiques, en particulier dans le champ médiatique. Collaborateur de la revue Esprit et doctorant en philosophie, Adrien Tallent montre que le contrat social, au fondement de la philosophie politique moderne, est mis à mal par la domination des algorithmes sur l’espace public.
Adrien Tallent – La philosophie du contrat social est au cœur de la modernité9. Les perspectives du contrat cherchent à explorer les raisons pour lesquelles des individus rationnels accepteraient de renoncer à certaines de leurs libertés en échange de leur entrée dans un ordre social et politique. Elles portent trois constats : les sociétés sont l’œuvre de leurs membres et relèvent donc de leur responsabilité collective ; l’être humain est désormais capable de s’approprier la nature par la technique ; chaque individu aspire à s’autonomiser. Mais, aujourd’hui, sous l’effet de la technique, les valeurs démocratiques du contrat social sont mises à mal par la réduction du progrès à sa dimension technologique et économique. Sous l’effet d’une trajectoire historico-économique prenant sa source dans la révolution scientifique du xviie siècle, les innovations dans le domaine du numérique nous ont privés de notre pouvoir d’action démocratique, collectif et individuel, pourtant constitutif de la modernité.
Comme le souligne Bernard Stiegler, le calcul des probabilités – aujourd’hui la norme dans les organisations – conduit les temps modernes à une sorte de « folie réfléchie ». Notre société moderne est une société de la disruption : « ce qui va plus vite que toute volonté, individuelle aussi bien que collective10 ». S’engage alors une course-poursuite entre des innovations, qui créent en permanence des vides juridiques, et le droit. Ce culte de l’innovation débouche ainsi sur une forme de dissolution de l’État qu’il faut alors en permanence « réformer ». Aliénés par la technique, les individus sombrent dans la folie. L’agent rationnel, préalable au contrat, n’est plus.
Pourtant, quoi de plus rationnel que le traitement des secteurs économiques, politiques et sociaux, par l’intelligence artificielle et la collecte massive des données (personnelles ou non) ? L’être humain étant faillible, l’avènement actuel de la « gouvernementalité algorithmique11 » rendrait enfin possible le règne de la raison, grâce à des systèmes techniques supposés infaillibles. Aujourd’hui, les algorithmes sont massivement utilisés en Bourse, dans la sélection à l’université, dans le traitement d’images de vidéosurveillance… La réduction de l’action politique au management étatique est la conséquence directe de la mondialisation, de la financiarisation et de la mise en algorithme. Puisque le monde s’est fait nombre, nous n’avons plus besoin de politique. La rationalité algorithmique néolibérale nous indiquera quelles sont les bonnes décisions, mais cette mathématisation du monde va de pair avec un recul des libertés. Le capitalisme est devenu un « capitalisme de surveillance12 » et l’exploitation à grande échelle des données personnelles par les grandes entreprises technologiques et les États provoque un effondrement de la vie privée ainsi qu’un appauvrissement des possibles.
Puisque le monde s’est fait nombre, nous n’avons plus besoin de politique.
Désormais, le développement de l’analyse prédictive par le traitement massif des données rend caduque la version assurantielle du contrat. L’individu devient un produit : « Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit. » Les individus sont transformés en « fournisseurs de data » et ces données permettent aux grandes entreprises de les déposséder de leur libre volonté. Emprisonnés dans nos « bulles de filtres13 », écartelés entre nos divers intérêts économiques et sans cesse ciblés par les annonceurs, nous ne partageons plus de vérités communes ou de socle commun d’expérience préalable à la vie en société et au fonctionnement démocratique. Submergés par les dispositifs techniques numériques, nous devons de nouveau nous éduquer à être libres.
Les progrès politiques promis par la modernité sont ainsi mis à mal par la puissance des nouvelles technologies numériques, mais une menace plus fondamentale pourrait concerner le rejet des principes mêmes de la modernité.
Susan Neiman – Après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, nous avons abandonné la pratique sociale et politique consistant à lire des signes dans la nature. Les Lumières considéraient que nous devions plutôt nous concentrer sur les maux moraux, compris, sans référence au péché originel, comme une série complexe de moyens conduisant à une fin mauvaise. Rousseau est décisif à cet égard, ce qui explique que Kant l’ait qualifié de « Newton du monde moral ». À l’autre extrémité de l’époque moderne, Auschwitz correspond à la prise de conscience d’une distance entre les êtres humains, qui est aussi une distance en nous-mêmes : des maux terribles sont produits par des gens dont nous ne pouvons déceler les intentions. À cet égard, j’adhère à la conception de Hannah Arendt concernant la banalité du mal14. Des millions d’Allemands, sans qui le régime nazi n’aurait pas pu commettre un génocide, n’avaient pas d’intentions particulières, si ce n’est de continuer à vivre tranquillement leur vie. Des documents attestent que des personnes ont pratiqué la torture de manière cruelle et révoltante, mais le mal banal, irréfléchi, a fait historiquement plus de dommages – et le changement climatique en est un bon exemple.
Certains considèrent qu’Auschwitz est le résultat de la modernité, mais les nazis étaient guidés par un rejet total des principes fondamentaux de la modernité, l’universalisme et l’autodétermination, en faveur de structures nationalistes, racistes et autoritaires. La source du fascisme est le tribalisme, la croyance que nous ne pouvons avoir de relations ou d’obligations véritables qu’avec des gens qui appartiennent à notre propre tribu. Au contraire, l’universalisme est la croyance que nous pouvons avoir des relations avec des gens de toutes sortes, que nous avons donc des obligations à l’égard de tout un chacun. Il n’y a aucune contradiction entre la reconnaissance de la diversité culturelle et l’engagement politique en faveur de l’universalisme. Nous pouvons avoir la même expérience (de souffrances), mais nous l’interprétons différemment et nous en tirons des conclusions morales différentes. Ce qui compte dans la vie, ce sont les principes que nous nous efforçons de suivre et de respecter ; notre qualité de naissance est peu de chose par rapport ce que nous en faisons.
Le prix du progrès
Pour Bruno Latour, la modernité s’identifie au naturalisme. Le philosophe et écrivain Dorian Astor développe ici librement les raisons et les manières de sortir de cette séparation artificielle entre nature et culture, en s’appuyant sur le rapport des travaux de Latour avec la philosophie de Nietzsche15.
Dorian Astor – Bruno Latour s’appuie sur une conception pluraliste de la réalité comme multiplicité de puissances d’agir en conflit, chacune incarnant un point de vue sur le monde – un monde de perspectives, non pas convergentes comme chez Leibniz (qui les soumet à une harmonie supérieure), mais irréductiblement divergentes comme chez Nietzsche : avides, impérieuses, belliqueuses. Si tu veux la paix, prépare(-toi à comprendre que les perspectives se font) la guerre ! Message glaçant, qui est pourtant celui du perspectivisme.
Irréductions s’ouvre sur Robinson et Vendredi. Robinson le naturaliste croyait savoir ce qu’il en est de l’ordre et de la force. Sur l’île, il découvre la multiplicité des ordres et l’équivocité des forces, ce que Vendredi l’animiste pratique tous les jours, lui qui « est moins sûr de ce qui est fort et de ce qui est ordonné16 ». Vendredi a des rivaux et des alliés, des amis et des ennemis parmi une multitude d’existants dont un seul, Robinson, est humain. Robinson doit admettre ce constat : personne ne sait par avance quel est l’état des forces, ni même ce qu’est une force. Seules des épreuves sans cesse renouvelées permettent d’établir, à tel et tel moment, dans telle et telle situation, ce qui est fort ou faible, réel ou irréel, associé ou dissocié. Aucun état de force, aucun mode d’existence n’est réductible à aucun autre. Il faut chaque fois éprouver, mesurer ce qui résiste dans un rapport. Une puissance d’agir, un « actant », n’a jamais de faiblesse ou de force en soi, mais seulement d’après ses formes d’association avec d’autres puissances d’agir. Il n’y a aucune identité, aucune équivalence qui ne soit fabriquée, bricolée à grands frais, entre forces inégales, dont on ne sait jamais à l’avance où elles se trouvent et ce qu’elles font exactement. « Autrement dit, il n’y a pas d’équivalences, il n’y a que des traductions17. » Ou, en termes nietzschéens : « Il n’y a pas de fait, seulement des interprétations18. » L’île de Robinson – la terre nouvelle où le naturalisme doit tout recommencer à zéro et ne rien réduire, contraint d’apprendre de l’animiste Vendredi – est le monde de la volonté de puissance en son sens nietzschéen, aussi bien un monde néo-leibnizien, que Latour revendique : « De chaque entéléchie [ou monade], on peut dire qu’elle se fait tout un monde. Elle se place, elle et toutes les autres ; elle dit de quelles forces elle se croit composée ; elle se donne du temps, elle désigne qui siégera en principe de réalité. Elle traduit, pour son propre compte, toutes les autres forces et cherche à leur faire accepter la version par laquelle elle désire être traduite. / Scolie : Nietzsche l’appelle évaluation et Leibniz expression19. »
Dans La Dialectique des Lumières, Theodor Adorno et Max Horkheimer écrivent ainsi : « Les hommes paient l’accroissement de leur pouvoir en devenant étrangers à ce sur quoi ils l’exercent20. » Spécialiste de théorie critique21, maîtresse de conférences en philosophie allemande à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Katia Genel se demande si une telle affirmation est en mesure de participer d’une critique écologique de la modernité qui se refuserait à toute fétichisation de la nature.
Katia Genel – La Dialectique de la raison propose une archéologie de la rationalité et de la subjectivité modernes. L’ouvrage remonte jusqu’à la figure mythologique d’Ulysse pour mettre au jour un mode de fonctionnement de la raison inséparable de la domination de la nature. Pour ces auteurs, l’Aufklärung, c’est la « pensée en progrès » qui a pour but de « libérer les hommes de la peur et de les rendre souverains ». Or, en cherchant à se libérer de la peur, à connaître et donc à maîtriser leur environnement, les êtres humains ont transformé leur rapport à la nature. Juste après la citation que vous évoquez, Adorno et Horkheimer écrivent que la raison s’est comportée à l’égard des choses comme un « dictateur à l’égard des hommes », qui les connaît dans la mesure où il peut les manipuler.
Ainsi, la maladie de la raison est liée à la tendance originaire et impulsive de l’être humain à dominer la nature, voire à considérer le monde comme une proie22. La domination est véhiculée par l’exploitation économique mais aussi par la culture elle-même, et s’ancre dans la vie psychique des êtres. Adorno et Horkheimer ont très tôt analysé le dispositif de cette triple domination qui s’exerce solidairement sur la nature extérieure, les autres hommes et la nature intérieure des hommes.
Cette critique radicale de la raison contient bien l’amorce d’une critique écologique de la modernité. Ce n’est pas à strictement parler la modernité qui est en cause, mais l’exercice même de la raison. Ainsi, on ne peut poursuivre le projet rationaliste, en raison du fait qu’il est vicié dès l’origine. Plus généralement, les théoriciens de Francfort ont attaqué l’idée centrale du marxisme selon laquelle la solution serait dans une plus grande maîtrise de la nature comme dans un accroissement de la production. Ils subvertissent les présupposés marxistes en s’appuyant notamment sur la psychanalyse et la théorie des pulsions, afin d’élucider les mécanismes et les conséquences de la maîtrise et de la répression des pulsions. Toute la difficulté est, pour eux, de penser un autre rapport à la nature. Ils ont ouvert différentes pistes pour aller dans une direction non instrumentale : par exemple, en explorant ce que signifie un rapport à la nature qui n’en nierait pas l’altérité et en mobilisant, de façon complexe et critique, le concept de mimésis.
Il faut que la raison autoréfléchisse sa tendance à la domination de la nature.
Pour autant, il ne s’agit pas de sortir du rationalisme, Adorno comme Horkheimer manifestent une « confiance dans la raison » et entendent bien « sauver l’Aufklärung23 ». Mais le geste de sauvetage est rendu difficile par ce diagnostic de maladie originelle – à tel point que Habermas y a vu, par la suite, le risque d’une contradiction performative : comment sauver rationnellement une raison viciée ? La réponse de Adorno et Horkheimer est la suivante : il faut que la raison autoréfléchisse sa tendance à la domination de la nature. La solution n’est pas dans un rationalisme plus grand, mais dans davantage d’autoréflexion de la raison sur ses propres impulsions.
Ainsi, les théoriciens de Francfort ont critiqué les différentes facettes de ce qu’ils ont appelé « le prix du progrès », le rapport de domination, mais aussi une perte de la capacité à faire des expériences ainsi qu’un appauvrissement de la subjectivité. Ils ont analysé la « révolte de la nature », refoulée et réprimée, dans les mouvements de masse. Ils en ont fait le noyau de leur critique de la modernité, qui ne pense pas la modernité comme rupture, mais comme une poursuite du mythe dans la raison et l’inversion de la raison en mythologie. Dans cette mesure, il y a au cœur de la théorie critique de Adorno et Horkheimer un lien possible avec l’écoféminisme et l’éco-marxisme24.
Dans ce contexte, peut-être faut-il concentrer la critique sur le capitalisme, comme nous y invite Susan Neiman, et ainsi distinguer le capitalisme et la modernité comme autocritique.
Susan Neiman – Les Lumières jouent aujourd’hui un rôle similaire à celui que jouait la modernité il y a cent ans : elles sont tenues pour responsables de l’ensemble des maux contemporains. Les critiques de la modernité venaient alors non seulement de la droite, mais aussi de la gauche, notamment à la suite de la Première Guerre mondiale, avec de nombreux penseurs qui considéraient que l’idée d’un progrès illimité, dont on pensait qu’elle faisait partie de la modernité au xixe siècle, était une absurdité. Nietzsche et William James jugeaient déjà les présupposés de la modernité comme témoignant d’une perspective bourgeoise et suffisante sur le monde, qui ne justifiait pas d’y vivre. Ces critiques ne proposent aucune conception positive de la modernité qui permette d’échapper à cette condamnation générale.
La cause principale de la crise climatique n’est pas la modernité, mais le capitalisme.
Adorno et Horkheimer – ou Foucault, dans un registre différent – affirment vouloir être autocritiques à propos des Lumières, de manière à les approfondir. Pourtant, selon eux, toute tentative pour avancer en matière de modernité revient à une forme plus subtile d’oppression : voyez la figure d’Ulysse, qui écoute la voix des sirènes alors qu’il est attaché au mât du bateau chez Adorno et Horkheimer25, ou la figure du régicide Damiens chez Foucault26. Ces critiques de la modernité, bien qu’elles soient écrites par des gens de gauche, sont en réalité réactionnaires. Loin d’encourager à repenser certains aspects de la modernité, de nombreuses personnes jettent aujourd’hui le bébé avec l’eau du bain, se débarrassant des principes mêmes dont nous avons besoin pour progresser.
On ne peut pas répondre à la crise climatique en détruisant la technologie moderne, à laquelle nous devons notamment la baisse des taux de mortalité infantile et maternelle, ou la levée de contraintes qui pesaient sur la vie des femmes. La cause principale de la crise climatique n’est pas la modernité, mais le capitalisme. Le capitalisme dépend absolument de la production de plus en plus de biens, qui sont conçus selon un principe d’obsolescence programmée, alors qu’il y a une centaine d’années, un artisan fabriquait des objets durables. On croit que la croissance représente la prospérité d’un pays, mais la croissance ne signifie rien d’autre que la production du plus de camelote possible, qui finira par s’entasser dans quelque pays du tiers monde.
Alors que Susan Neiman conteste une telle interprétation, Katia Genel soutient qu’Adorno et Horkheimer ne critiquent pas les promesses non tenues de la raison, mais la domination de la raison sur la nature.
Katia Genel – La critique de la modernité est, chez Adorno et Horkheimer, non pas une critique des promesses non tenues de la raison, mais plutôt une critique de la connivence de la raison avec la domination, en particulier sur la nature. À travers ce fonctionnement de la raison et ce rapport à la nature, il y a en apparence quelque chose d’anhistorique dans la critique de la première génération de l’École de Francfort.
Toutefois, dans son programme initial, elle cherchait à répondre à la crise du marxisme, de son destinataire traditionnel et de son ancrage critique dans l’histoire. C’est donc d’abord une critique marxiste du capitalisme qui, confrontée au fait que le capitalisme ne s’effondre pas sous le poids de ses contradictions, considère qu’on a affaire à une tendance de la raison à la domination dont le capitalisme n’est qu’une des formes. La critique culturelle, d’inspiration nietzschéenne, qui met au jour des transformations anthropologiques, s’enchevêtre avec la critique sociale, d’inspiration marxienne, pour laquelle le développement du capitalisme consiste en une rationalisation extrême de l’organisation sociale qui, disjointe de ses finalités, tourne à vide et a des effets irrationnels sur les rapports sociaux et sur les sujets.
Ainsi, c’est une critique de la modernité capitaliste, soucieuse de l’historicité. La critique de la modernité n’est pas séparée de la question du capitalisme et de ses effets sur nos formes de vie comme sur nos relations sociales. Cela signifie qu’il n’y a pas de point de vue séparé : contrairement à la distinction habermassienne entre rationalité communicationnelle et instrumentale (qui fonde en quelque sorte la possibilité de la promesse de la modernité, ancrée dans une sphère spécifique, communicationnelle, et menacée par des processus instrumentaux), c’est, pour Adorno et Horkheimer, « la » raison elle-même qu’il faut réfléchir, car c’est elle qui peut se retourner contre elle-même et s’autodétruire. La critique de la modernité est donc radicale et ouvre la voie à une analyse des ambivalences de la modernité (l’érosion des idéaux émancipateurs, mais aussi le retournement de ces idéaux au service de la domination) et particulièrement à l’articulation avec une critique de l’anthropocentrisme. L’autocritique de la raison, ou plutôt l’auto-réflexion perpétuelle de la raison, en vertu de sa radicalité, constitue aussi un défi pour tout projet politique constructif.
Politique de l’anthropocène
Dorian Astor a évoqué l’île de Robinson comme le lieu de cohabitation du naturalisme et de l’animisme. Mais dans l’œuvre de Bruno Latour, cette cohabitation devient vite insoutenable.
Dorian Astor – Dans Face à Gaïa, quatorze ans après Irréductions, Vendredi l’animiste a imposé sa traduction. Dès la deuxième conférence, Latour revendique un véritable animisme, renversant l’évidence imposée par la science moderne selon laquelle il faut commencer par désanimer la nature pour la comprendre : « Quoique la philosophie officielle de la science prenne le […] mouvement de dés-animation comme le seul qui soit important et rationnel, c’est le contraire qui est vrai : l’animation est le phénomène essentiel ; et c’est la dés-animation qui est un phénomène superficiel, auxiliaire, polémique et souvent apologétique27. »
Nous parlons d’acteurs ou d’actants mais, comme disait Nietzsche, l’action est tout, l’acteur n’est qu’un mythe surajouté. Comme pour la mythologie grecque, « il faut remplacer ce que sont les dieux, les concepts, les objets et les choses, par ce qu’ils font28 ». Gaïa, dont la figure est empruntée à Lovelock, n’est pas une divinité, Terre-Mère personnifiée, ni même un système unifié, un super-organisme ou animal cosmique (Nietzsche encore : « Gardons-nous de croire que le monde est un être vivant29 ») : ne jamais unifier prématurément les puissances d’agir. Il faut suivre toutes les connexions de Gaïa sans tomber dans une perspective holiste (ce fut la difficulté où s’est débattu Lovelock). Pour ce faire, « il faut redoubler d’attention sur la distribution des puissances d’agir. Que se passe-t-il en effet si vous étendez l’intentionnalité à tous les agents30 » – et si vous les connectez par des relations d’intérêt, des contaminations de proche en proche, avec pour but opportuniste l’occasion saisie, par de constantes improvisations, d’une expansion, d’une « réussite » ? Gaïa est processus, devenir, histoire. Mais il s’agit là d’une géohistoire, comme scène nouvelle où entrent une multitude d’acteurs nouveaux. Or c’est précisément parce que le rideau se lève sur un nouveau théâtre que « l’homme » voit son rôle redéfini au moment où la notion d’anthropocène fait de lui une nouvelle force géologique à part entière. Le partage entre sciences sociales et naturelles se brouille toujours davantage : histoire humaine et histoire naturelle, géographie humaine et géographie physique tendent à se confondre. C’est toute cette redistribution qu’il faut appeler « l’intrusion de Gaïa31 ». La nature était indifférente, mais Gaïa est chatouilleuse : elle réagit, rétroagit, surréagit. L’anthropos de l’anthropocène doit multiplier ses capteurs, s’ouvrir à une nouvelle esthétique, dans le sens précis d’une capacité à percevoir les puissances d’agir et à être concerné par elles.
Peut-on, malgré tout, prendre acte de la critique écologique de la modernité sans répudier les valeurs de tolérance, d’autonomie et d’émancipation qui lui sont associées ?
Antoine Lilti – Les philosophes des Lumières portent un regard nuancé, souvent critique, sur les limites du progrès et les excès de la civilisation. Comme l’ont montré plusieurs travaux récents, il existe une première prise de conscience environnementale, une réflexion sur la fragilité des milieux naturels, portée par des savants, mais aussi des écrivains, comme Bernardin de Saint-Pierre, et des administrateurs, comme Pierre Poivre, intendant de l’île de France (l’actuelle île Maurice), où il lutte contre la déforestation et cherche à acclimater de nouvelles espèces32. On peut aussi relire la célèbre de fin de Candide dans un sens écologique : l’injonction à « cultiver son jardin » a souvent été interprétée métaphoriquement, mais elle a aussi une portée plus concrète. Elle survient, dans le récit, une fois que les protagonistes ont renoncé aux richesses d’outre-mer et se limitent, sagement, aux ressources de la petite métairie. D’ailleurs, l’économie politique classique, issue des physiocrates et d’Adam Smith, n’est pas le seul héritage de la pensée des Lumières. D’autres savoirs économiques ont été élaborés au xviiie siècle, nourris par l’histoire naturelle et par l’expérience des acteurs locaux, soucieux de réguler finement les ressources et les besoins33.
La conception de la modernité que portent les Lumières est fondée sur l’autonomie des individus et sur l’aspiration à un bonheur relativement modeste, fondé sur la pratique des vertus sociales. Ce n’est certainement pas suffisant pour régler la crise à laquelle nous faisons face, mais c’est une conception de la modernité plus aimable que l’ambition modernisatrice et industrialiste qui a dominé les xixe et xxe siècles. Si nous voulons répondre à la crise environnementale sans renoncer à l’horizon d’un progrès politique et moral fondé sur les droits des individus, alors cette conception de la modernité peut être une ressource34. Ici encore, il ne s’agit pas d’abandonner la promesse émancipatrice de la modernité, mais de pluraliser les Lumières afin de retrouver des prises intellectuelles et politiques dans une conception plus ouverte de leur héritage.
En déployant la dimension polémique de nos perspectives, Dorian Astor en appelle à une politique de la Terre. À quelles conditions est-elle possible ?
Dorian Astor – La pire chose qui puisse nous arriver est l’inadéquation de l’humain au théâtre nouveau où il se trouve. Par quoi Latour rejoint le diagnostic de Nietzsche : « Au moment même où il faudrait refaire de la politique, on n’a plus à notre disposition que les pathétiques ressources du “management” et de la “gouvernance”35. » Cette nécessité de refaire de la politique, Latour la décrit comme la prise en compte du passage d’un ancien régime climatique à un nouveau, qui doit opposer nécessairement une conception universelle et abstraite de l’humain (issue de la très concrète figure de l’homo œconomicus naturaliste) et une nouvelle figure, perspectiviste, que Latour appelle « le Terrestre ». Les Terrestres doivent expliciter les uns pour les autres quelles sont leurs instances suprêmes, leur manière de s’inscrire sur le sol et dans le temps, suivant quelles cosmologies sont distribuées les puissances d’agir auxquelles ils sont mêlés. Les Naturalistes (ou « peuple de la Nature »), qu’on les appelle les Occidentaux ou les Modernes, sont parvenus à se définir par une illusoire humanité universelle face à la nature, alors qu’ils errent en réalité, déterritorialisés comme le capitalisme selon Deleuze et Guattari, dans une matière inanimée et fantomatique. Ce sont eux, les « derniers hommes » redoutés par Nietzsche, l’assomption du nihilisme. À l’« Humain », il faut opposer le « Terrestre » (ou « peuple de Gaïa ») comme nouveau type humain « re-terrestrialisé ». Chez Latour, les Humains et les Terrestres s’opposent comme s’opposent, pour Zarathoustra, les derniers hommes et le surhumain. Il y va effectivement d’une fidélité à la Terre – par quoi Gaïa serait sœur de Dionysos.
Chez Latour, les Humains et les Terrestres s’opposent comme s’opposent, pour Zarathoustra, les derniers hommes et le surhumain.
Il n’y aura pas de politique de la Terre tant qu’on présupposera une humanité universelle à force de spiritualisation, face à une nature indifférente à force de physicalisation, arbitre de tous les conflits en tant qu’elle est régie par des lois sur lesquelles on ne saurait qu’être d’accord. Le concept de nature, exempt de toute valeur, dépolitise la Terre, empêche les humains de dire à quoi ils tiennent et à quelles puissances d’agir ils ont choisi de se lier : « Si nous voulons avoir une écologie politique, nous devons d’abord admettre la division d’une espèce humaine prématurément unifiée. Nous devons faire de la place pour des collectifs en conflit les uns avec les autres36. » Nous devons reconnaître un état de guerre si nous voulons, par des obligations diplomatiques, conquérir la paix. Il y aura des guerres, des « guerres sur ce dont est fait le monde37 » – elles se déchaînent déjà, mais refusent de dire leur nom. Le pluralisme perspectiviste n’est pas un irénisme : l’enjeu est la définition plurielle de l’importance et l’expérience différenciée de la valeur. Et si Latour, de culture catholique, convoque l’Évangile de Matthieu (« Ne croyez pas que je suis venu porter la paix sur Terre : je ne suis pas venu porter la paix, mais l’épée ») plutôt que l’Ecce homo de Nietzsche, il n’en reste pas moins qu’il rejoue l’annonce de « guerres comme il n’y en a jamais eu sur terre38 ». Mais, comme le précisait Nietzsche, non pas des guerres absurdes « entre races, nations et classes », mais des « guerres de l’esprit » ou, dans un autre langage, des conflits entre manières d’identifier les existants (ontologies) et leurs relations (cosmologies). Il n’y aura aucune paix universelle tant qu’il n’aura pas été reconnu entre quelles puissances la guerre en réalité se déchaîne, entre quels intérêts il va falloir engager des négociations diplomatiques : guerre et paix des perspectives.
Propos recueillis par Jonathan Chalier et Michaël Fœssel
- 1. Voir Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité, Paris, Éditions de l’EHESS/Gallimard/Seuil, coll. « Hautes études », 2019.
- 2. Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique [2000], trad. par Olivier Ruschet et Nicolas Vieillecazes, Paris, Éditions Amsterdam, 2015.
- 3. Voir Shmuel Noah Eisenstadt (sous la dir. de), Multiple Modernities, New York, Routledge, 2002.
- 4. Voir Susan Neiman, Penser le mal. Une autre histoire de la philosophie [2002], trad. par Cécile Dutheil de la Rochère, Paris, Premier Parallèle, 2022.
- 5. Voir Noam Chomsky, L’Optimisme contre le désespoir. Entretiens avec C.J. Polychroniou [2013-2017], trad. par Nicolas Calvé, Montréal, Lux, 2017 : « Nous avons deux options. Le pessimisme, qui consiste à baisser les bras et, ce faisant, à contribuer à ce que le pire arrive. Ou l’optimisme, qui consiste à saisir les occasions qui se présentent et, ce faisant, à contribuer à la possibilité d’un monde meilleur. La question ne se pose même pas. » L’argument est déjà formulé par Kant.
- 6. Voir Jürgen Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise [1962], trad. par Marc Buhot de Launay, Paris, Payot, 1978.
- 7. Voir Hans Blumenberg, La Légitimité des Temps modernes, trad. par Marc Sagnol, Jean-Louis Schlegel et Denis Trierweiler, avec la collaboration de Marianne Dautrey, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1999.
- 8. Voir, notamment, John Brookshire Thompson, The Media and Modernity: A Social Theory of the Media, Stanford, Stanford University Press, 1995.
- 9. Voir Leo Strauss, « Les trois vagues de la modernité » [1975], La Philosophie politique et l’histoire. De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la philosophie, trad. par Oliver Sedeyn, Paris, Le Livre de poche, 2008.
- 10. Bernard Stiegler, Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou ?, Paris, Les Liens qui libèrent, 2016, p. 24.
- 11. Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, « Gouvernementalité algorithmique et perspectives d’émancipation. Le disparate comme condition d’individuation par la relation ? », Réseaux, no 177, 2013, p. 163-196.
- 12. Shoshana Zuboff, L’Âge du capitalisme de surveillance [2018], trad. par Bee Formentelli et Anne-Sylvie Homassel, Paris, Zulma, 2020.
- 13. Eli Pariser, The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You, New York, Penguin, 2012.
- 14. Voir Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal [1963], trad. par Anne Guérin, révisée par Martine Leibovici, présentation par Michelle-Irène Brudny de Launay, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2002. Arendt n’avait pas accès aux archives étudiées par Bettina Stangneth, Eichmann avant Jérusalem. La vie tranquille d’un génocidaire [2011], trad. par Olivier Mannoni, Paris, Calmann-Lévy, 2016.
- 15. Voir Dorian Astor, Nietzsche. La détresse du présent, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2014.
- 16. Bruno Latour, Pasteur : guerre et paix des microbes. Suivi de Irréductions [2001], Paris, La Découverte, 2011, p. 238.
- 17. Ibid., p. 248.
- 18. Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes XII. Fragments posthumes (automne 1885-automne 1887), éd. Giorgio Colli et Mazzino Montinari, trad. par Julien Hervier, Paris, Gallimard, 1979, p. 304-305 (FP 7 [60]).
- 19. B. Latour, Irréductions, op. cit., p. 254.
- 20. Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, La Dialectique de la raison. Fragments philosophiques [1944], trad. par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1974, p. 27.
- 21. Voir Katia Genel, Autorité et émancipation. Horkheimer et la Théorie critique, Paris, Payot, coll. « Critique de la politique », 2013.
- 22. Voir aussi M. Horkheimer, Éclipse de la raison [1947], suivi de Raison et conservation de soi, trad. par Jacques Debouzy et Jacques Laizé, Paris, Payot, coll. « Critique de la politique », 1974.
- 23. Voir T. W. Adorno et M. Horkheimer, « Sauver l’Aufklärung. Discussions sur un projet d’ouvrage au sujet de la dialectique » [1946], Le Laboratoire de la Dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. par Julia Christ et K. Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Philia », 2014, p. 263-276.
- 24. Voir Jean-Baptiste Vuillerod, Adorno. La domination de la nature, Paris, Éditions Amsterdam, 2021.
- 25. Voir T. W. Adorno et M. Horkheimer, La Dialectique de la raison, op. cit., « Appendice I : Ulysse, ou mythe et raison ».
- 26. Voir Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1975, chap. i : « Le corps des condamnés ».
- 27. B. Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015, p. 94-95.
- 28. Ibid., p. 115.
- 29. F. Nietzsche, Le Gai Savoir [1882], trad. par Patrick Wotling, Paris, Flammarion, 1982, livre III, § 109.
- 30. B. Latour, Face à Gaïa, op. cit., p. 132.
- 31. Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, 2009.
- 32. Voir Richard H. Grove, Les Îles du Paradis. L’invention de l’écologie aux colonies 1600-1854 [1995], trad. par Mathias Lefèvre, introduction et postface par Grégory Quenet, Paris, La Découverte, coll. « Futurs antérieurs », 2013 ; et les articles réunis dans Dix-huitième siècle, no 54 : « Climat et environnement », 2022.
- 33. Voir Arnaud Orain, Les Savoirs perdus de l’économie. Contribution à l’équilibre du vivant, Paris, Gallimard, coll. « NRF essais », à paraître en mars 2023.
- 34. Voir Corine Pelluchon, Les Lumières à l’âge du vivant, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2021.
- 35. B. Latour, Face à Gaïa, op. cit., p. 143.
- 36. Ibid., p. 319.
- 37. Ibid., p. 310.
- 38. Nietzsche, Ecce homo [1888], trad. par Éric Blondel, Paris, Flammarion, 1999, « Pourquoi je suis un destin », § 1.