Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Janet Leigh en route vers le Bates Motel dans Psychose de Alfred Hitchcock
Janet Leigh en route vers le Bates Motel dans Psychose de Alfred Hitchcock
Dans le même numéro

Cinéma d'horreur, les ressorts de la peur

septembre 2018

Où réside l’essence du cinéma d’horreur ? Est-ce dans la capacité d’effrayer les spectateurs dans la salle, ou dans l’art de les marquer à tel point qu’ils repensent à certaines scènes bien après, dans les heures ou jours suivant la séance ? En somme, faut-il impressionner le public ou le « traumatiser » ?

Le sujet n’est pas neuf et la subjectivité de la peur ou des ressentis face à un long métrage rend difficile le débat critique sur l’horreur comme genre. Entre ne pas avoir peur et être terrifié, il peut paraître difficile de livrer un discours analytique sur ces films.

Ces derniers mois, justement, plusieurs œuvres ont suscité l’intérêt des fans de ce genre et du grand public : Sans un bruit (John Krasinski), Hérédité (Ari Aster), The Witch (Robert Eggers), No dormirás (Gustavo Hernández). Pour autant, leurs qualités ne relèvent pas forcément du cinéma d’horreur et interrogent même la frontière entre ce genre et celui du thriller. Du moins échappent-elles à la multiplication des jump scares, ces instants de silence suivis d’irruptions soudaines et sonores à l’écran pour prendre le public par surprise, et qui ont pullulé ces dernières années dans les productions d’horreur.

Le scénario de Sans un bruit permet de s’interroger sur l’étiquette à lui attribuer : dans un futur proche, une famille vit recluse, le monde étant envahi de créatures aveugles mais surgissant pour tuer au moindre son. Or ces étranges organismes ne nous effraient pas, ne nous révulsent qu’à peine quand nous les voyons, et pas autant que, par exemple, le monstre de The Thing (John Carpenter, 1982) ou l’hybride de La Mouche (David Cronenberg, 1986). Sur ces principes, s’agit-il d’anticipation, de science-fiction, de post-apocalyptique, d’un survival ou d’un mélange des quatre pour créer de l’horreur ? La peur vient, réussite remarquable de Krasinski pour sa première réalisation, de la mise en scène, de l’utilisation de l’espace et des cadres pour représenter la menace. Il s’agit bien d’un jeu sur les codes et sur les potentialités de la tension au cinéma : lorsque nous voyons l’aiguille apparente dans l’escalier de la cave ou l’héroïne interprétée par Emily Blunt enceinte, nous savons que ces éléments seront utilisés. De là vient notre plaisir de spectateur, de voir une vraie série B qui maîtrise les ressorts de la peur et de l’empathie au cinéma et qui les réinterprète avec brio. En nous effrayant ? Peu, hélas.

No dormirás (Gustavo Hernández) comporte également « sa » trouvaille scénaristique : des acteurs de théâtre se privent de sommeil pour vivre des hallucinations et explorer des limbes, au risque de se perdre dans les horreurs qu’ils rencontrent. Il s’agit donc clairement de fantastique, même si le film tente de se donner un cadre scientifique en expliquant que, passé un certain total d’heures sans sommeil, des phénomènes inexpliqués se produisent. Nos peurs, notre impression d’étrangeté, proviennent justement du traitement à mi-distance pratiqué par Hernández : montrer des actes que nous savons surnaturels, mais expliqués par des personnages qui y croient, avant d’affecter une héroïne sceptique puis victime. Lorsque celle-ci tente de reproduire les apparitions lors de la scène finale et que le procédé semble fonctionner, la crainte se fait sensible à nouveau. Pour autant, le film reposant sur un concept invraisemblable peut-il nous effrayer profondément ?

De façon plus problématique encore, devant Hérédité, nous ne savons pas s’il nous faut parler de film d’horreur ou de thriller psychologique, tel que pouvait le pratiquer Roman Polanski dans Répulsion (1965) ou Rosemary’s Baby (1968). Interrogation sur la famille et le deuil, sur la part de glauque et de malsain présente en nous, le scénario fonctionne tant qu’il ne cherche pas à verser dans le surnaturel. Or, dans le dernier tiers, au moment de résoudre les questions de son histoire, Ari Aster choisit le paganisme comme facteur d’explication. Encore les démons, encore les sectes païennes… se prend-on à penser, en spectateur que les invocations d’un des rois de l’Enfer et les incantations sacrificielles n’impressionnent plus depuis longtemps. Plus encore, ces effusions soudaines de violences, de rituels codifiés, ne fonctionnent pas car elles ne sont pas préparées par le script, mal rédigé : nous ne pouvons ni les comprendre ni les interpréter, simplement les voir surgir à l’écran sans beaucoup d’effet. Des défauts regrettables, tant les jeux de Toni Colette et Gabriel Byrne impressionnent, et devant la belle impression de malaise d’abord créée par Aster. Et, une fois de plus, l’ensemble ne fait pas peur, ne laissant éprouver qu’un certain déplaisir intellectuel.

A contrario, l’introduction du paranormal et de l’horreur dans The Witch est bien plus remarquable, en premier lieu grâce à son cadre : la Nouvelle-Angleterre du xviie siècle, la vie des puritains et les craintes autour des possessions démoniaques. Or les histoires de sorcières, de fausses accusations contre des jeunes filles, appartiennent à ce cadre historique, à l’imaginaire collectif états-unien, et la mention au générique de The Witch de son récit comme d’un folk tale (conte populaire) rajoute au sentiment de fascination : le film repose sur une fiction, mais celle-ci est crédible. L’horreur surgit dans les deux dernières scènes du film de Robert Eggers, lorsque le Diable s’incarne en un animal, parle, face à la jeune héroïne, d’une voix mystérieuse filmée hors-champ, et l’initie à la sorcellerie. La cérémonie du sabbat vient comme un achèvement, un surgissement du surnaturel dans le quotidien religieux de personnes souhaitant rejeter ­l’hérésie. Il est ici possible de croire en une forme de satanisme, a contrario du culte ­d’Hérédité qui n’est jamais expliqué, tout juste brusquement incorporé à l’intrigue. Et le souvenir de notre relatif effroi demeure longtemps après que les lumières se sont rallumées.

Croyance, peurs, dégoût, incrédulité, traumatismes, crédibilité : la critique de ces quatre films invoque autant de notions subjectives, particulières pour chaque spectateur. Plus encore que le thriller, dont le principe consiste à immerger le spectateur par des scénarios mystérieux et des mises en scène savamment orchestrées, le film d’horreur est diffcile à analyser à froid. Sans doute d’autres trouveront-ils Sans un bruit terrifiant, ou The Witch peu impressionnant. Que doit-on considérer comme de l’horreur, et que doit-on rejeter vers le fantastique ou le thriller ? La présence d’un contexte futuriste, d’êtres extraterrestres, doit-elle disqualifier le long métrage ? L’horreur provient-elle simplement d’un surgissement du surnaturel dans le quotidien, dans cette rupture des cadres physiques et moraux ?

Ces questions restent ouvertes. Si nous appliquons le critère du quotidien, aucun slasher ne pourrait effrayer, car nous savons que le scénario tournera sur comment et combien de personnages seront tués. Un des films les plus cités parmi les réussites de l’horreur reste Alien (Ridley Scott, 1979), quand bien même nous savons qu’il s’agit d’une œuvre de science-fiction, avec des éléments d’action. Et, bien entendu, les critères du traumatisme, de ce qui marque ou laisse indifférent, évoluent avec les époques et l’expérience du spectateur. Aucun film d’horreur n’a fait l’objet de polémiques quant à sa classification en France depuis Frontière(s) (Xavier Gens, 2008), et le débat, ces dernières années, a porté davantage sur le sexe et sa représentation que sur la violence à l’écran.

Entre détourner le regard et garder les yeux ouverts, il nous faudrait pourtant réussir à comprendre la peur au cinéma, à la fois émotion la plus incontrôlable et la plus puissante, aux côtés du rire, que peut provoquer le septième art.

Louis Andrieu

Louis Andrieu

Cinéphile, il écrit sur le cinéma, les contenus audiovisuel et les images dans la Revue Esprit depuis 2013.

Dans le même numéro

L’imaginaire des inégalités

Alors que l’efficacité des aides sociales est aujourd’hui contestée, ce dossier coordonné par Anne Dujin s’interroge sur le recul de nos idéaux de justice sociale, réduite à l’égalité des chances, et esquisse des voies de refondation de la solidarité, en prêtant une attention particulière aux représentations des inégalités au cinéma et dans la littérature.