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Capture écran du site https://manifeste.pour-un-reveil-ecologique.org/fr
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Le réveil écologique des étudiants

Les étudiants de grandes écoles se mobilisent sur l’écologie, mais se heurtent à une certaine inertie du monde professionnel et au caractère transversal de l’écologie.

À l’automne 2018, le «  Manifeste étudiant pour un réveil écologique  » a connu un succès remarqué. Lancé par des jeunes en scolarité dans les grandes écoles, mêlant filières d’ingénieurs, écoles de commerce ou de sciences politiques, il proposait à l’échelle française une logique d’empowerment habituellement plus anglo-saxonne. Face à l’urgence écologique, le texte assumait l’importance de changer le fonctionnement et les objectifs des entreprises en utilisant le levier des recrutements et en faisant des salariés des citoyens engagés. Ne plus laisser les préoccupations vertes à la porte de l’entreprise, comme on y laisse son vélo.

La dynamique a pris. Cet engagement a été signé par plus de 32 000 étudiants, au-delà des grandes écoles, dont plusieurs milliers dans les écoles de commerce (plus de 500 sur le seul campus d’Hec). Aujourd’hui, l’association à l’origine du manifeste travaille sur deux grands axes, la formation dispensée dans l’enseignement supérieur et les enjeux autour de l’emploi. Comment tester la réelle volonté d’une entreprise de mettre la transformation écologique au cœur de son business model ? Comment traquer le greenwashing ? Comment arbitrer entre différentes offres d’emploi selon des critères verts certes, mais aussi dans la durée, en se projetant comme une force de transformation au sein d’une organisation ? Cette approche associe éthique personnelle et appréciation concrète de l’emploi, point de vue individuel et enjeux de responsabilité collective. Elle modifie assez radicalement la manière de voir le rôle des entreprises, puisqu’il s’agit de transformer globalement le modèle économique et les manières d’agir du secteur privé. Des rencontres avec des dirigeants d’entreprises (grande distribution, énergie, industrie) sont menées en ce sens. C’est d’autant plus important qu’il s’agit d’un chaînon manquant dans le débat public français. Qu’il s’agisse d’orientations macroéconomiques ou du rôle des entreprises, les liens entre économie et écologie ont été insuffisamment pris en considération par les partis politiques en France. Les Verts français (à l’exception de quelques personnalités, comme Alain Lipietz) n’en ont jamais fait une priorité, se contentant souvent de prôner l’anticapitalisme, contrairement par exemple aux Grünen. À l’inverse, la droite comme la gauche, ou la République en marche, restent attachées à la croissance, à une vision du commerce international et une affectation des ressources qui entrent en contradiction avec la transformation écologique et le respect de la nature.

Comment tester la réelle volonté d’une entreprise de mettre la transformation écologique au cœur de son business model ? Comment traquer le greenwashing ?

L’évolution des étudiants en écoles de commerce est particulièrement scrutée. Comment vont-ils donner une place aux enjeux écologiques, qui entrent en confrontation avec la culture de l’innovation technologique, la réalisation de profits ou la pratique du marketing ? C’est d’abord dans la vie des campus lorsqu’il s’agit de changer l’organisation matérielle que le verdissement a pris forme. Le nombre d’adhérents des associations étudiantes sur ces sujets est en forte augmentation et celles-ci agissent tous azimuts. Elles organisent des débats sur les questions de société, militent pour la suppression du plastique, la réduction des déchets ou la création de jardins, observent les oiseaux, se constituent en groupe de pression vis-à-vis des entreprises, montent des projets en économie sociale et solidaire (Ess). Des instances associant étudiants, professeurs et membres de l’administration sur ces enjeux ont été mises en place dans certaines écoles. Les demandes de stages en lien avec l’écologie progressent. Le fait que la scolarité se déroule en partie à l’étranger joue un rôle d’accélération dans la prise de conscience, alors que ce débat n’a pas de frontières. Ainsi à l’Escp, qui a six campus en Europe (Paris, Londres, Berlin, Madrid, Turin et Varsovie), c’est le dynamisme du campus berlinois qui a été moteur.

Mais du côté des programmes, la situation est pour le moins contrastée. Certes les enseignements qui existaient (masters de développement durable) sont de plus en plus attractifs. Des chaires se créent, comme à l’Escp sur l’économie circulaire, ou voient leurs objectifs évoluer, comme à l’Essec où la chaire sur l’immobilier et le développement durable remet désormais chaque année un prix de la ville solidaire et de l’immobilier responsable. Certes, des étudiants de plus en plus nombreux se mobilisent, pétitionnent même pour demander plus de cours sur l’écologie, voire une transformation du contenu des cours, avec une nouvelle problématisation de la finance, de la stratégie d’entreprise ou du rôle des externalités économiques. Et la résonance avec l’interpellation des lycéens à travers les marches pour le climat est frappante.

Cette dynamique se heurte à plusieurs facteurs d’inertie. D’abord, pour des écoles qui préparent les futurs cadres dirigeants ou entrepreneurs de demain, le lien avec la transformation du monde professionnel est indispensable. C’est l’œuf et la poule. Le fait qu’un nombre croissant d’entreprises soient prêtes à être parties prenantes de chaires articulant économie et écologie est ainsi encourageant. Mais cela signifie-t-il que les processus stratégiques de l’entreprise changent, que les bonus de fin d’année soient calculés sur d’autres critères ? L’évolution des programmes des écoles est un élément d’une transformation systémique avec un jeu d’acteurs complexe (les firmes, leurs cadres, les étudiants, le corps professoral, l’administration des écoles), dont les acteurs publics comme puissance de régulation et de prescription du futur ne sont d’ailleurs pas absents. Sans doute est-ce pour cela que, si l’offre de cours intègre de plus en plus d’options autour de l’écologie (Ess, questions climatiques et énergétiques, finance durable, nouveaux enjeux de solidarité), ces enseignements sont encore majoritairement laissés au choix des étudiants ou occupent une place limitée dans le socle commun.

Deuxième élément de difficulté, le champ même de ce qu’on appelle écologie et qui échappe largement à toute définition sectorielle embrassant tout à la fois la révision de la comptabilité – souvenons-nous de Gérard Mestrallet dégradant en 2014 les actifs que représentaient les «  vieilles centrales thermiques  » d’Engie pour anticiper un avenir plus vert, l’éthique des affaires, la hiérarchie des investissements. Inscrire l’écologie dans les programmes d’enseignement est à la fois une question d’orientation de pensée et un enjeu de technique, de capacité à passer du champ des valeurs à celui de l’action concrète. Et cette transversalité est souvent un frein au changement. Être partout, c’est aussi n’être nulle part dans la logique d’organisation actuelle.

Comment faire la place qu’elles méritent aux formations aux performances extra-financières, à la mesure de l’impact environnemental et social, aux outils de mesure de la création d’activités en dehors du champ économique habituel, ou à l’impact des activités sur le tissu économique local ? On ne peut sans doute pas laisser cette question centrale à la seule initiative des écoles elles-mêmes, ni à l’interpellation étudiante. C’est ce constat qui a conduit une équipe autour de Cécile Renouard, actuellement professeure à l’Essec et chargée par la ministre de l’Enseignement supérieur de la rédaction d’un livre blanc sur l’enseignement supérieur à l’heure de la transition écologique et sociale, à créer le Campus de la transition à Forges. Dès sa création, le Campus a organisé des cours délocalisés de grandes écoles avec pour objectif affiché de réviser certains contenus et méthodes pédagogiques et de favoriser le croisement entre chercheurs, étudiants et acteurs de l’entreprise. Son attrait pour nombre de jeunes diplômés fraîchement entrés dans la vie active est indéniable. Ils sont attirés par l’accent mis sur les enjeux éthiques, mais aussi la rencontre avec des responsables d’entreprises de niveau décisionnel. L’initiative La Bascule, lancée en février 2019 par Maxime de Rostolan, qui se donne pour objectif «  d’accélérer la transition démocratique, écologique et sociale en réunissant les moyens économiques et financiers disponibles pour propulser, catalyser et relier les initiatives  », rencontre aussi un vrai succès. L’un des angles affichés en ce sens est de travailler sur «  l’entreprise de demain  » mais aussi sur l’ensemble du système, en y incluant bien sûr l’État et plus globalement les fonctions de régulation et de mise en perspective des acteurs publics. Le fait que la société bouge plus vite que les institutions sur ces sujets sera aussi un moteur. Faisons le pari que l’excellence environnementale deviendra vite un élément essentiel du choix des étudiants entre les écoles dans les années qui viennent.

Lucile Schmid

Haut-fonctionnaire, membre du comité de rédaction de la revue Esprit, Lucile Schmid s'est intéressée aux questions de discrimination, de parité et d'écologie. Elle a publié de nombreux articles pour Esprit sur la vie politique française, l'écologie et les rapports entre socialistes et écologistes. Elle a publié, avec Catherine Larrère et Olivier Fressard, L’écologie est politique (Les Petits…

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