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Notes de lecture

Dans le même numéro

Les Ingénieurs du chaos de Giuliano da Empoli

septembre 2019

Le populisme se présente à nous sous le visage de bateleurs d’estrade qu’on ne prend pas au sérieux dans un premier temps : le comique Beppe Grillo en Italie, le bouffon provocateur Boris Johnson en Grande-Bretagne, le «  gaffeur  » Bolsonaro au Brésil, le transgressif Trump venu de la téléréalité aux États-Unis… Pourtant, derrière ce que l’auteur appelle justement le «  carnaval populiste  » se révèle un travail minutieux et réfléchi ­d’experts en communication politique (spin doctors) dont ce livre présente une série de portraits. Il fait ainsi le lien entre la révolution technologique numérique et la vague populiste. Il fait apparaître une série de personnages méconnus, dont les parcours et les prouesses font comprendre pourquoi la conquête du pouvoir a définitivement changé d’allure : Gianroberto Casaleggio (le cerveau du mouvement Cinq Étoiles), Dominic Cummings (le stratège du Brexit), Steve Bannon (le fédérateur des extrêmes droites) ou encore Arthur Finkelstein, un orfèvre de la déstabilisation qui a rendu possible la conquête du pouvoir par Netanyahou, avant de travailler pour Orbán… Leur point commun : la lutte pour renverser ­l’hégémonie culturelle progressiste, destituer les élites de la «  société ouverte  » et promouvoir un populisme trans­national offensif. À cette fin, ils développent un discours de rejet du «  système  », de la «  caste  », parfois identifiée aux héritiers de la révolution culturelle des années 1960, une rhétorique de «  lever des tabous  » libérant des passions négatives. Pour cela, les nouveaux outils de communication numérique ont révélé une force impressionnante. En effet, ces ­stratèges se sont emparés des nouveaux outils numériques avec un brio inattendu. Ils n’ont pas seulement cherché, comme l’a fait Obama, à renouveler les mobilisations militantes ou partisanes grâce aux nouvelles technologies. Leur vision offensive du combat politique les a menés beaucoup plus loin. Ils ont trouvé dans les réseaux sociaux et les données personnelles massives (big data) auxquelles ceux-ci donnent accès un nouveau langage politique pour des électeurs d’un nouveau genre. Des électeurs peu mobilisés, peu intéressés par le jeu politique et les institutions, oubliés par les partis classiques, mais sensibles à des messages personnalisés, centrés sur leurs priorités et leurs émotions, surtout la colère. Et ­qu’importe si ces messages micro-ciblés se contredisent ! Qui se soucie encore de cohérence ? Ou même de vérité ? Les réseaux sociaux permettent aux candidats de toucher, à coup de simplismes, des petits groupes hermétiques les uns aux autres, qui se répètent en boucle les mêmes idées fixes, en filtrant, dans la somme immense des informations, les seuls éléments qui confortent leur vision du monde (filter bubbles). Le candidat qui renvoie le mieux en miroir ces fragments de convictions, en jouant d’un «  calque émotionnel  », gagne la mise… Est-ce un mouvement sans retour ? Ce livre fait comprendre qu’au-delà des fuites de données et des scandales de la triche numérique (Cambridge ­Analytica), au-delà des questions de personnes, au-delà des erreurs tactiques des Démocrates, un nouveau régime de la conflictualité politique se met en place, à la faveur du développement de nouvelles techno­logies désormais très familières, qui favorisent à grande vitesse le développement de forces centrifuges à travers nos sociétés. Ce qui rend l’action politique dans une société segmentée, divisée, voire multi-fracturée plus difficile… mais aussi plus indispensable que jamais.

JC Lattès, 2019
200 p. 18 €

Marc-Olivier Padis

Directeur de la rédaction d'Esprit de 2013 à 2016, après avoir été successivement secrétaire de rédaction (1993-1999) puis rédacteur en chef de la revue (2000-2013). Ses études de Lettres l'ont rapidement conduit à s'intéresser au rapport des écrivains français au journalisme politique, en particulier pendant la Révolution française. La réflexion sur l'écriture et la prise de parole publique, sur…

Dans le même numéro

Le sens de l’école

Le dossier, coordonné par Anne-Lorraine Bujon et Isabelle de Mecquenem, remet le sens de l’école sur le métier. Il souligne les paradoxes de « l’école de la confiance », rappelle l’universalité de l’aventure du sens, insiste sur la mutation numérique, les images et les génocides comme nouveaux objets d’apprentissage, et donne la parole aux enseignants. À lire aussi dans ce numéro : un inédit de Paul Ricœur sur la fin du théologico-politique, un article sur les restes humains en archéologie et un plaidoyer pour une histoire universaliste.