
De quoi parle la rentrée littéraire ?
Dramatisée et scénarisée à outrance, la rentrée littéraire est bien davantage le reflet des attentes et des convictions que les lecteurs y projettent que celui de la production effective des auteurs. Quelle image ce miroir nous livre-t-il de notre propre actualité ?
Avec cinq cent onze nouveaux textes1 parus entre août et septembre 2020, la rentrée littéraire est un inconnaissable. Comme la littérature moderne elle-même, dont le rythme de publication annuel a franchi dès le début du xixe siècle le seuil de la quantité de fictions lisibles par une seule personne, l’image que l’on se fait de l’état actuel de la littérature n’apparaît que par le filtre d’attachés de presse, de représentants, de libraires, de journalistes, d’influenceurs professionnels ou non, de réseaux plus ou moins anciens de socialités littéraires. Ces présélections sont entérinées par des prix ; sur la moyenne et la longue durée, intellectuels puis universitaires prendront le relais en entretenant l’illusion d’une décantation miraculeuse des grandes œuvres par la postérité, sélectionnées comme naturellement par le passage du temps. Sur plus de cinq cents titres, seule une cinquantaine au mieux connaîtra les faveurs de la presse et des prix, en sorte qu’interroger la rentrée littéraire n’est pas en comprendre la substance, mais percevoir nos présupposés et nos attentes dominantes. Pas plus que nous ne pouvons éprouver la littérature réellement lue du passé, ni les méthodes d’analyses numériques quantitatives, ni les communautés numériques de lecteurs, ni l’intelligence artificielle, ni l’intelligence collective, ni les grands articles de synthèse ne semblent e