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Camille Riquier et Frédéric Worms
Camille Riquier et Frédéric Worms
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La société ouverte ? Introduction de Camille Riquier et Frédéric Worms

Nous sommes frappés par le retour de la clôture et par la confusion de l’ouverture avec le libéralisme guerrier. Pouvons-nous relancer l’ouverture réelle ?

Un point nous a frappés lors de la campagne électorale française, il y a un an : le retour d’une alternative plus radicale que toutes les radicalités autoproclamées. Tandis que le bon fonctionnement de nos sociétés et de nos démocraties est remis en cause, jusqu’à inquiéter nos façons les plus ordinaires de vivre, le mécontentement des peuples gronde. Jamais nous n’avons été autant secrètement forcés de battre en retraite sur notre ligne la plus reculée, au point critique où furent prises les grandes décisions : le clos et l’ouvert. Ou plutôt : l’ouvert, contre le clos, une fois encore, et au plus profond. Et au même moment nous entendons dans le discours d’Emmanuel Macron ces mêmes termes, ces mêmes thèmes : la « société ouverte ». Comment ne pas en être frappés ?

Se posaient alors de multiples questions, simples mais radicales en effet, et graves. Qu’est-ce qui explique ce retour au choix politique, éthique, historique, humain, le plus radical aujourd’hui ? On se croyait sorti du siècle des clôtures, en 1989, allons-nous les voir revenir sans plus aucun espoir d’ouverture, trente ans plus tard ? Le discours sur la « société ouverte » que l’on entendait pendant la campagne est-il à la hauteur des risques de la clôture revenue, du retour des fascismes, des racismes, des exclusions ? Ne faut-il pas revenir aux pensées de la société ouverte qui ont traversé le xxe siècle et ses clôtures et nous ont transmis cette question que l’on pouvait croire secondaire et qui revient aujourd’hui avec toute sa force ?

Tels furent les points de départ de cette enquête, de ce dossier. Il y avait alors diverses manières de procéder. Ou bien un dossier théorique ou bien une enquête politique ; ou bien l’histoire ou bien l’actualité ; ou bien la revendication d’un angle global, et vital, ou bien sa mise en œuvre, diversifiée, argumentée. On trouvera les deux ci-dessous : nous avons assumé deux études un peu plus longues, et proposé un abécédaire critique lui-même le plus « ouvert » possible, en sollicitant divers auteurs sur leur question propre, avec cet angle parfois inattendu pour eux, et nous les en remercions[1].

La société ouverte ne se réduit pas au marché.

Mais surtout qu’en retirera-t-on quant à nos questions initiales ? Quelle confirmation ? Quel écart ? À la fois une confirmation et un écart, ou plutôt des écarts, que nous pressentions, mais qui nous reviennent plus accentués encore, et avec une double leçon en forme de balancier. Un écart, d’abord, entre la profondeur de l’idée de la société ouverte et les discours qui la portent aujourd’hui. Nous ne nous étions pas donné le mot, ni entre nous ni aux auteurs. Mais tous, nous y insistons : il y a un malentendu possible. L’ouverture ne saurait se réduire au libéralisme, surtout dans sa version extrême et qui nourrit les guerres, et la société ouverte ne se réduit pas au marché.

Une confirmation ensuite, car dans cet écart on peut puiser une ressource. On peut encore orienter le discours sur la société ouverte sur l’ouverture véritable, politique et/ou religieuse, européenne et mondiale, morale et sociale, de la curiosité à la mystique en passant par les droits de l’homme et l’environnement. Et cela face aux forces d’une violence extrême de la clôture et de la guerre. Ce fut pour nous une confirmation et une surprise.

Mais il faut surtout que ce soit une relance, grâce à laquelle la réflexion puisse sortir de cette situation piégée – expedire se ex laqueis – en cessant de se reposer sur ses réflexes acquis. Prenons les tenants de la société ouverte au mot. Qu’ils s’orientent comme nous ici sur le sens le plus fort de ce mot, et les autres suivront. L’ordre inverse ne mènerait qu’au désastre – expedire salutem.

 

[1] -  C’est pourquoi aussi nous n’avons pas voulu faire un dossier de recherche sur la société ouverte. Des travaux essentiels l’ont récemment fait mieux que nous ne pourrions faire. Nous y renvoyons avec force le lecteur : Thierry Gontier et Stéphane Madelrieux (sous la dir. de), « Sociétés fermées et sociétés ouvertes, de Bergson à nos jours », Éthique, politique, religions, vol. 2, no 7, 2015 ; Didier Delsart, la Notion de « société ouverte » chez Bergson et Popper, juin 2018, sous la direction de T. Gontier, université Lyon 3.

 

Camille Riquier

Camille Riquier, agrégé et docteur en philosophie, est maître de conférence et doyen de la Faculté de philosophie à l’Institut catholique de Paris. Il est notamment l'auteur de Nous ne savons plus croire (Desclée de Brouwer, 2020). 

Frédéric Worms

Philosophe, spécialiste de l’œuvre de Bergson (Bergson ou Les deux sens de la vie, 2004), il a aussi développé une hypothèse générale d'histoire de la philosophie (la notion de « moment ») appliquée notamment à la philosophie française du XX° siècle (La philosophie en France au XXe siècle – Moments, 2009). Il étudie également les relations vitales et morales entre les hommes, de la métaphysique à…

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Nous sommes les témoins du retour de la clôture politique (fascismes, racismes, exclusions) et d’un discours qui réduit la société ouverte au marché. Dans ce contexte, il est urgent de relancer l’ouverture réelle, comme y invitent Camille Riquier et Frédéric Worms après Bergson, ainsi que les auteurs d’un riche abécédaire critique.