
La fin de l'accord nucléaire avec l'Iran ?
Le 8 mai dernier, le président Trump dénonçait l’accord sur le nucléaire iranien conclu à Vienne le 14 juillet 2015. Cette décision était attendue, mais la façon dont il s’est exprimé a surpris par sa véhémence et sa brutalité. En affichant le 21 mai douze exigences totalement inacceptables pour l’Iran, le secrétaire d’État Mike Pompeo a confirmé la détermination américaine.
Cette décision, malgré son caractère ponctuel, aura des conséquences majeures qui dépassent largement l’Iran et le Moyen-Orient. Par-delà la dénonciation d’un accord technique visant à prévenir la prolifération nucléaire, l’objectif, affiché conjointement avec Israël et l’Arabie saoudite, est un changement de régime en Iran et l’éradication de la présence et de l’influence iraniennes au Moyen-Orient arabe. Plus généralement, cette décision agit comme un révélateur de la tentation hégémonique des États-Unis, de la gravité de la crise du système multilatéral organisé en 1975 et de la faiblesse de l’Europe.
Donald Trump met l’Iran en accusation sur trois points : l’Iran ment et est déterminé à se doter d’un arsenal nucléaire ; l’Iran est un État terroriste ; l’Iran a une volonté hégémonique qui menace la sécurité du Moyen-Orient et du monde. Cette argumentation reprend souvent mot pour mot les propos du Premier ministre israélien. En réalité, la détermination américaine a des motivations plus profondes.
Un objectif prioritaire : déstabiliser le régime iranien
Il s’agit tout d’abord, dans ce domaine comme dans d’autres, de continuer à détricoter systématiquement l’héritage de Barack Obama. Cette décision répond également aux préoccupations d’Israël qui dénonce la « menace existentielle » que représente l’Iran. Celles-ci sont relayées très efficacement sur la scène politique intérieure américaine, du Parti démocrate aux Républicains en passant par la droite évangélique. Il s’agit également, et peut-être surtout, de régler un compte non soldé avec la République islamique. L’humiliation subie en 1979 à la suite de la prise en otage pendant 444 jours de 52 diplomates américains reste dans les mémoires. Sur ce point, le président américain dispose d’un large soutien aussi bien au Congrès que dans l’opinion publique. Ainsi, l’objectif clairement affiché, dès le discours du président Trump le 20 mai 2017 à Ryad, est le changement de régime. Certains analystes, surestimant quelque peu la portée des manifestations de janvier 2018, pensent que le régime est au bord de l’implosion et qu’il convient de la favoriser.
Pour atteindre cet objectif, les États-Unis disposent d’un éventail de mesures dont certaines ont été utilisées dans le passé avec des succès limités : soutien politique et financier aux oppositions intérieures, y compris les moins fréquentables comme les Moudjahidin du peuple ; appui à des forces alliées sur les champs de bataille où l’Iran est impliqué ; sanctions économiques et financières ; cyberguerre ; entretien de guérillas parmi les minorités, notamment kurdes. Washington irait-il jusqu’à intervenir militairement contre les forces alliées de l’Iran, contre la force al-Qods, voire sur le territoire iranien ? Ceci n’est pas exclu même si l’on pressent les réticences de l’establishment militaire pour se réengager au Moyen-Orient.
Israël, en revanche, qui peut apporter son soutien à la gamme de mesures précédemment évoquées, semble décidé à intervenir de façon active. À cet égard, trois fronts se présentent : le Sud-Liban où le Hezbollah a accumulé un arsenal de plusieurs dizaines de milliers de roquettes et missiles de portées très variées ; le front syrien où se déploient milices chiites et force al-Qods ; le territoire iranien, en particulier les sites sensibles, nucléaires ou pétroliers. Pour l’instant, seul le front syrien est actif. Israël a clairement fixé son objectif : obliger l’Iran et les milices qui lui sont affiliées à quitter la Syrie. La vague d’attaques menées depuis plusieurs semaines confirme cette volonté : pour la première fois, un affrontement militaire direct et significatif est intervenu entre des forces militaires israéliennes et iraniennes. Certes la réaction iranienne est demeurée limitée, mais il est peu probable que des attaques aériennes répétées puissent provoquer à elles seules le départ de l’Iran du territoire syrien. Quant à l’Arabie saoudite, sa contribution à cette offensive restera modeste, si l’on en juge par la médiocrité des « performances » de ses troupes au Yémen. Elle peut en revanche apporter un appui logistique et de renseignement à ses « alliés » américains et israéliens, non sans risque politique interne.
Des conséquences majeures au-delà de l’Iran
et du Moyen-Orient
Le retrait américain affecte d’ores et déjà la politique intérieure iranienne. La dénonciation de l’accord est un camouflet pour le président réformiste Rohani, qui a pour effet de renforcer le camp des éléments les plus conservateurs et notamment celui des Gardiens de la révolution. D’une façon générale, tout système de sanctions ou d’interventions extérieures ne peut que renforcer la capacité d’un régime impopulaire à mobiliser l’ensemble de l’opinion publique autour de lui. Les effets négatifs des sanctions sur la vie quotidienne de la population sont facilement imputables aux actions étrangères. Cette remarque de portée générale est particulièrement valable pour l’Iran, dont la population a toujours manifesté à l’égard des interventions étrangères un nationalisme ombrageux.
Ces actions, notamment israéliennes, peuvent-elles provoquer un embrasement de l’ensemble du Moyen-Orient ? On peut le craindre, même si certains pays s’efforcent de calmer le jeu. La Russie se trouve en première ligne et confirme sa position d’acteur incontournable. Alliée au régime syrien et à la République islamique, elle entretient de bonnes relations avec Israël. Elle tente une médiation qui éloignerait la force al-Qods de la frontière israélienne. Manifestement, ceci n’est pas jugé suffisant du côté israélien. Le risque d’engrenage et d’erreurs dues à de mauvaises interprétations demeure. L’expérience du passé, notamment l’intervention américaine de 2003 en Irak, montre l’ampleur des dégâts que peuvent provoquer des interventions militaires qui attisent les sentiments anti-américains, et plus généralement anti-occidentaux, des opinions publiques.
L’Iran pourra reprendre sans contrôle son programme nucléaire.
Cependant, les conséquences dépassent largement le champ de bataille moyen-oriental. Une fois l’accord paralysé, l’Iran pourra reprendre sans contrôle son programme nucléaire dont la finalité militaire sera sans doute confirmée. Ce qui incitera d’autres pays potentiellement proliférants à suivre cet exemple. Ainsi, la dénonciation de l’accord ne fait qu’accentuer la pression sur le traité de non-prolifération dont la légitimité est de plus en plus contestée.
La relation transatlantique risque également d’être sérieusement affectée. L’Europe en tant que telle et ses pays membres ne peuvent accepter de voir leur souveraineté bafouée par une décision de politique intérieure américaine. Or tel est le cas puisque les sociétés européennes qui continueraient d’investir et de commercer avec l’Iran pourraient être poursuivies pénalement par la justice américaine. Mike Pompeo a assorti ses propos du 21 mai dernier de menaces explicites aux sociétés étrangères qui ne respecteraient pas les sanctions américaines. Certes, l’Union européenne a annoncé au récent sommet de Sofia quelques mesures. Mais il est peu probable qu’elles soient de nature à rassurer les sociétés européennes et à leur permettre d’enfreindre la législation américaine. La condamnation de Bnp Paribas à près de 9 milliards de dollars d’amende, en juin 2014, a provoqué un traumatisme profond dans les milieux d’affaires européens. Total et Psa, qui avaient repris des activités importantes en Iran, ont d’ores et déjà renoncé à les poursuivre.
La décision américaine agit comme un triple révélateur. Elle est tout d’abord un révélateur de l’hégémonie américaine et de sa capacité à faire prévaloir ses intérêts dans un monde qui peine à devenir multipolaire. Elle révèle la fragilité du système multilatéral qui est en voie de démembrement à l’initiative des États-Unis. Cette décision agit enfin comme un révélateur de la faiblesse de l’Europe incapable de faire respecter sa souveraineté.
Ainsi, le débat sur le leadership américain est loin d’être clos.