
L’essentiel ou comment se l’approprier
Les mesures restrictives liées à la crise sanitaire ont suscité de véhéments débats autour de nos conceptions de l’essentiel et du superflu. Une occasion de réfléchir avec Rousseau, et de voir dans l’essentiel non pas l’objet acheté, mais le moyen par lequel on se l’approprie, son mode de fabrication ou l’usage qu’on en fait.
Le premier confinement avait provoqué un bouleversement de l’ordre des activités et de l’estime sociale qui leur est conférée. Les premiers de cordée passaient soudain derrière celles et ceux qui se trouvaient en première ligne dans l’assistance sanitaire et la satisfaction des besoins : l’essentiel était circonscrit au vital. Le second confinement a provoqué une réaction inverse : une forme de résistance à ce qui peut désormais apparaître comme une réduction de nos vies à leur dimension la plus appauvrie – sans livres, sans spectacles, sans sports collectifs, sans divertissements entre amis… La polémique sur la définition des commerces ou activités essentiels met en question la possibilité d’établir une stricte ligne de partage entre l’essentiel et le superflu de nos existences. Elle doit en réalité nous conduire à un déplacement de ce qui est susceptible d’être évalué comme essentiel : non pas choisir entre un type d’objet et un autre, mais bien plutôt entre un mode d’appropriation plutôt qu’un autre.
La défense des petites librairies est exemplaire du déplacement que nous devons opérer dans nos jugements de valeur. L’incitation à se tourner vers son libraire de quartier plutôt que vers un géant du commerce en ligne montre que l’acte d’achat tire sa valeur du mode par lequel on s’approprie un bien. Le livre, objet essentiel ? La librairie, commerce essentiel ? Au fond, telle n’est pas la question. Car il pourrait y avoir une forme de condescendan