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Joe Biden arrivant à la COP26, sommet des dirigeants mondiaux de la 26e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, Glasgow. Photographie : Alan Harvey/ Gouvernement britannique
Joe Biden arrivant à la COP26, sommet des dirigeants mondiaux de la 26e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, Glasgow. Photographie : Alan Harvey/ Gouvernement britannique
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Glasgow, ou la réalité des négociations climatiques

Les débats de la COP26 ont montré combien l’écologie devient un enjeu diplomatique. Si l’objectif de contenir le réchauffement de la planète a été réaffirmé, l’abandon des énergies fossiles est encore loin d’être acquis. Une fracture entre pays du Nord et du Sud s’est cristallisée autour de l’enjeu financier.

« Charbon, voitures, argent, arbres. » C’est ce que n’a cessé de répéter Alok Sharma pendant la COP26, dont il assumait la présidence en tant que secrétaire d’État britannique à l’énergie. Ces quatre mots symbolisaient de manière presque enfantine les engagements qui s’imposent pour changer de société : stopper la déforestation, dépenser autrement les ressources publiques comme l’argent privé, réduire, enfin, l’empreinte carbone des transports. Posséderons-nous encore une voiture individuelle demain ? Sinon, comment développerons-nous les transports collectifs, en priorité là où ils manquent ? Comment, par ailleurs, renoncerons-nous au charbon, qui permet encore à des centaines de millions d’Indiens et de Chinois d’accéder à l’électricité, et qui reste en Europe une source importante d’énergie ?

À cette « comptine » s’ajoutait l’ardente obligation de maintenir le réchauffement climatique à 1, 5 degré. Un demi-degré de moins équivaut en effet à une fréquence moindre d’événements climatiques extrêmes, à une montée des eaux moins importante, et à des effets moins destructeurs sur la biodiversité. Sans compter que cet objectif est une moyenne, qui admet des variabilités importantes selon les latitudes et les saisons. Certes, à la fin de cette COP, l’objectif de 1, 5 degré restait possible sur le papier. Mais la conférence a surtout illustré les difficultés qu’il faut affronter pour l’atteindre.

Sortir des énergies fossiles

À Glasgow, l’un des points importants était la fameuse neutralité carbone à atteindre au milieu de ce siècle, avec un équilibre entre moindres émissions et compensation par la séquestration de carbone. Cet objectif a été largement repris. L’Union européenne arrivait à la COP26 avec un engagement de neutralité en 2050, tout comme les États-Unis depuis la réintégration de l’accord de Paris par Joe Biden. La Chine, de son côté, s’est engagée sur la date de 2060 comme la Russie, et l’Inde s’est fixé l’échéance de 2070. Il reste désormais à passer aux actes. Pour atteindre cette neutralité, l’impératif premier est d’abandonner les énergies fossiles – charbon, mais aussi pétrole et gaz. Jamais une COP n’avait à ce point mis l’accent, et de manière aussi explicite, sur cet enjeu. Les centaines de lobbyistes de ces secteurs présents à Glasgow l’avaient bien compris1. Alors que les contributions des États sont loin d’être suffisantes pour parvenir à la neutralité d’ici le milieu du siècle, les négociations ont donc conclu à la nécessité de réviser plus rapidement ces engagements (fin 2022 et non en 2025), justement pour maintenir la perspective d’un réchauffement contenu à 1, 5 degré.

Sur le pétrole et le gaz, plusieurs coalitions, qui souhaitent avancer plus rapidement que le Pacte lui-même, se sont constituées. Plus de cent pays ont rejoint le Global Methane Pledge lancé par les États-Unis et les pays de l’Union européenne, s’engageant à réduire leurs émissions de méthane – un gaz nettement plus polluant que le CO2 – de 30 % d’ici 2030 par rapport à 2020. La coalition Boga (Beyond Oil & Gas, c’est-à-dire « Au-delà du pétrole et du gaz »), coprésidée par le Danemark et le Costa Rica et rejointe par la France, souhaite accélérer l’abandon progressif des combustibles fossiles. Elle n’inclut cependant aucun des poids lourds du pétrole et du gaz. Enfin, une coalition d’une trentaine de pays (dont les États-Unis, l’Allemagne, et la France après bien des hésitations) s’est engagée à mettre un terme, d’ici à la fin 2022, au financement à l’étranger de projets d’énergies fossiles sans techniques de capture du carbone. Le foisonnement des engagements et des coalitions montre combien les États ont déployé une intense activité diplomatique. Il appelle à l’évidence des rendez-vous périodiques et des méthodes exigeantes pour mesurer la réalité des actes au-delà des déclarations.

Plus que tout, c’est le charbon – 30 % des émissions mondiales de CO2 – qui a été sur le devant de la scène, avec des rebondissements jusqu’à la dernière minute. Une quarantaine de pays (dont la France, le Canada, la Pologne et le Vietnam) et pas moins d’une trentaine d’organisations (parmi lesquelles Engie et le groupe EDF) se sont engagés à éliminer la production d’électricité au charbon d’ici à 2030 pour les plus développés, et à 2040 pour les autres. Certains pays y ont ajouté un engagement de soutien particulier à l’Afrique du Sud et à l’Inde, afin de les aider à sortir de leur dépendance au charbon. Mais Scott Morrison, le Premier ministre australien, a assumé son attachement à l’économie du charbon, déclarant vouloir « maintenir les mines ouvertes pendant des décennies », lui dont le pays a pourtant été dévoré en 2020 par d’immenses feux (the Monster) dus au réchauffement de la planète. Quant à la Chine, elle a soutenu le gouvernement de Narendra Modi, pourtant son rival régional, dans sa volonté d’orienter la version finale de l’accord vers une réduction et non plus une sortie du charbon. « Maintenant, il faut se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1, 5 °C. On en est loin. On sait que les émissions ont continué à augmenter et que cette augmentation est telle que dans dix ans, tout ce qu’on émettra en gaz carbonique nous mettra hors des clous par rapport à cet objectif  », a déclaré le climatologue Jean Jouzel. La pression exercée par l’Inde à la dernière minute a indéniablement terni l’ensemble de la conférence. Mais cet épisode a aussi été rendu possible par la montée des tensions entre pays développés et pays du Sud alors même qu’une solidarité effective se fait attendre.

Fossé croissant entre Nord et Sud

L’adaptation (y compris les pertes et dommages dus aux catastrophes climatiques) est le second grand enjeu des négociations de Glasgow. Cette question est marquée par une importante asymétrie entre les pays du Nord et les pays du Sud. Les seconds sont les plus touchés, et de loin, par les catastrophes (sécheresses, typhons, inondations) ; le nombre de migrants ne cesse d’y croître. Les dérèglements climatiques amplifient des inégalités déjà très fortes et menacent la vie de millions de personnes. Ils tuent déjà. Mais les frustrations se concentrent également en nombre sur les moyens financiers, dont la question empoisonne les relations entre pays du Sud et pays du Nord depuis la COP de Copenhague en 2009. Si, à Glasgow, les pays développés se sont engagés à doubler le financement des mesures d’adaptation d’ici 2025 par rapport au niveau de 2019, et à atteindre enfin un montant de financements de 100 milliards de dollars par an à destination du Sud en 2023, ils n’ont pas voulu prendre la mesure de l’urgence vitale à agir, refusant par exemple de mettre en place un mécanisme de financement des pertes et dommages subis. « Les pays développés nous font défaut. Ce sont eux qui ont les ressources et la technologie pour faire la différence, mais ils ont laissé tomber le potentiel d’énergie propre et d’adaptation en ne respectant pas l’engagement de 100 milliards de dollars pendant deux années consécutives […]. Nous, les plus vulnérables, on nous dit d’attendre 2023  », s’est écrié le Premier ministre des îles Fidji, Frank Bainimarama, au début de la deuxième semaine de négociations alors que les États du Sud essayaient désespérément de se faire entendre. En écho, Bernard Ewekia, un jeune étudiant des îles de Tuvalu dans le Pacifique, rappelait avec émotion que les mots ne suffisent plus face à la réalité. « Il y a déjà cinq îles autour de Tuvalu qui ont disparu, et je veux que les dirigeants mondiaux prennent des engagements, mais agissent également maintenant avant que mon pays ne disparaisse complètement », a-t-il plaidé. Quant à la jeune poétesse de Papouasie-Nouvelle-Guinée qui ouvrait cette session, Vinzealhar Nen, elle appelait à chercher au sein des communautés elles-mêmes les remèdes pour s’adapter : « Mon peuple est la solution. C’est notre terre, et nous avons les relations. Travaillons ensemble et laissons-nous raconter notre histoire. Faites-nous confiance pour mener nos solutions localement et agissez maintenant. » L’enjeu financier est ainsi devenu le symbole de la différence de conditions entre le Nord et le Sud, et réactive la question coloniale. L’Inde l’a bien senti, elle qui aspire à exercer une forme de leadership vis-à-vis des pays du Sud. Lorsqu’elle a fait baisser le niveau d’ambition de l’accord final sur le charbon, n’était-ce pas aussi une manière de montrer qu’elle avait les moyens de faire pression sur des États du Nord qui n’ont jamais su trouver le ton juste pour parler justice et solidarité pendant cette COP ?

Les pays développés n’ont pas voulu prendre la mesure de l’urgence vitale à agir.

Et l’Europe ?

De leur côté, les grandes puissances n’ont cessé de s’affronter pendant cette COP, illustrant combien la diplomatie climatique fait désormais partie de leur panoplie d’influence. Après le retour des États-Unis dans le jeu, Joe Biden a prononcé un discours à charge vis-à-vis de la Chine, dont il a critiqué l’absence. Trois jours avant la fin de la COP, cependant, Chine et États-Unis ont rendu publique une déclaration commune, qui laisse la porte ouverte à d’éventuels accords à venir. Les Américains sont restés très mesurés sur la sortie des énergies fossiles ; la transformation de leur mode de vie n’a jamais été clairement abordée, alors qu’ils restent de loin le principal pays émetteur par nombre d’habitants. Il faut dire que le président Biden doit aussi faire face, dans son propre pays, à d’importantes oppositions à l’essor des énergies renouvelables au détriment du charbon et du gaz, y compris dans le camp démocrate. Son parti est divisé, et les Républicains sont hostiles. L’ombre de Donald Trump plane toujours sur la vie politique américaine.

Quant à la Chine, elle a pris le risque de susciter la défiance, elle qui avait multiplié les annonces en amont de la COP pour manifester sa volonté verte. L’absence de Xi Jinping montre que ce verdissement de l’économie chinoise est d’abord un pari unilatéral. La contribution nationale chinoise communiquée à l’ONU avant l’ouverture de Glasgow est sérieuse et argumentée : neutralité carbone en 2060, pic d’émissions avant 2030, réduction de l’intensité carbone de l’économie de « plus de 65 % » en 2030 par rapport au niveau de 2005, et part d’énergies décarbonnées « d’environ 25 % » en 2030. Mais la dépendance au charbon (65 % du mix énergétique chinois) a illustré les contradictions d’un pays qui a relancé la construction de nouvelles centrales tout en s’engageant à ne plus en financer hors de ses frontières. Elle l’a aussi conduit à affaiblir l’accord final aux côtés de l’Inde, ce qui laissera certainement des traces.

Et l’Union européenne ? À Glasgow, elle est restée discrète, se reposant sur le Pacte vert (Green Deal) et sur sa feuille de route, le paquet « Fit for 55 », comptant sur sa cohérence pour être légitime. Cette discrétion peut devenir un atout lorsque les relations se tendent entre le Sud et le Nord : il faudra dans les mois à venir désigner des médiateurs, et l’Europe peut en être aux côtés de certains États du Sud. Mais cela ne suffira pas à faire d’elle une puissance verte. Elle devra à tout le moins régler ses tensions internes (surtout avec les pays de l’Est dépendants du charbon), et gérer la mise en œuvre effective du Pacte vert par les États, tout en définissant la stratégie d’influence qui lui fait défaut.

L’essentiel est sans doute ailleurs. À Glasgow, les négociations ont été suivies en direct par des millions de personnes préoccupées des dérèglements climatiques dans le monde entier. Malgré un contexte sanitaire qui rendait ardue la venue à la COP26 des délégations des pays les plus pauvres, la mobilisation sociale autour de la conférence ne s’est jamais démentie. Cette COP a montré combien la lutte contre le dérèglement climatique associe désormais la société civile et les institutions. C’est l’alliance nécessaire pour trouver le rythme et les priorités de l’urgence écologique.

  • 1. Voir le communiqué de presse de l’association Global Witness, “Hundreds of fossil fuel lobbyists flooding COP26 climate talks”, 8 novembre 2021.

Lucile Schmid

Haut-fonctionnaire, membre du comité de rédaction de la revue Esprit, Lucile Schmid s'est intéressée aux questions de discrimination, de parité et d'écologie. Elle a publié de nombreux articles pour Esprit sur la vie politique française, l'écologie et les rapports entre socialistes et écologistes. Elle a publié, avec Catherine Larrère et Olivier Fressard, L’écologie est politique (Les Petits…

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