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Lancement du Conseil national de la refondation (CNR) à Marcoussis (8 sept. 2022). Capture écran
Lancement du Conseil national de la refondation (CNR) à Marcoussis (8 sept. 2022). Capture écran
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Une nouvelle conflictualité politique ?

La séquence électorale de 2022 esquisse les traits d’une nouvelle conflictualité politique en France, qui privilégie les coups d’éclat à la recherche du compromis. Le centrisme d’Emmanuel Macron, qui se met en scène comme le combat d’un pragmatisme modéré contre des idéologies anachroniques, cantonne le débat public à des objets superficiels qui l’éloignent des domaines d’action réelle.

Le fait politique majeur de ces derniers mois réside dans le résultat des dernières élections législatives qui ont privé le président réélu d’une majorité absolue, sans pour autant la confier à une opposition, celle-ci étant éclatée entre l’extrême droite historique, la droite traditionnelle et une récente union des gauches radicale, écologiste et socialiste. On a pu évoquer la nécessité d’élaborer en France une culture du compromis qui manque sous la Ve République et singulièrement, dans la pratique du pouvoir depuis 2017. La majorité s’est confondue avec l’Élysée comme rarement, effaçant plus encore le Parlement, dont Emmanuel Macron lui-même, dans un projet de révision constitutionnelle en 2018, envisageait de réduire le nombre des membres. Dans ce nouveau contexte, assistons-nous à une redéfinition des lignes de conflictualité politique ?

Le clivage droite-gauche

Le grand mouvement qui a tendu à effacer les partis au profit du centrisme macronien depuis 2017, bien au-delà d’Emmanuel Macron lui-même, n’était pas tant une révolution libérale que la victoire d’un principe d’efficacité, largement compris comme un pragmatisme en rejet d’idéologies connotées. La structure politique est alors conçue comme un combat éternel et romantique entre la modération au pouvoir et des forces extrémistes. Emmanuel Macron a gagné deux fois au premier tour, en dépassant les partis traditionnels, puisqu’il était entendu qu’il bénéficierait d’un report de voix face à Marine Le Pen. Mais une fois la majorité perdue, en 2022, l’ex-La République en marche (LREM) désormais Renaissance préfère construire le récit d’une opposition aux deux extrêmes que seraient le Rassembelement national (RN) et la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), quitte à donner du poids au premier en confortant ses positions à l’Assemblée avec deux vice-présidences – alors que son nombre de sièges en justifiait une seule – et en envisageant de lui donner sa préférence pour la tête de la commission des finances – quand bien même la plus grosse partie de l’opposition se situe à gauche, même en additionnant Les Républicains (LR) et le RN.

Renaissance a tout intérêt à entretenir le duel avec un RN historiquement – et de moins en moins – honni en plaçant au même niveau une gauche diabolisée. Incidemment, le macronisme montre qu’il n’est pas un centre au sens où l’a toujours défini François Bayrou, comme une équidistance, ni tout à fait l’extrême centre opportuniste et sans idéologie que l’historien Pierre Serna a retracé de la République radicale à aujourd’hui1. D’une certaine manière, la seconde lecture a été reprise par le pouvoir depuis les élections législatives de 2022 pour se placer en vis-à-vis d’une extrême gauche et d’une extrême droite. Le macronisme semble bien plutôt un déplacement de la droite vers les nouveaux groupes sociaux qui mènent l’économie, soit un sarkozysme libéré des aspects conservateurs de la droite traditionnelle.

Discours et immobilisme

Mais que l’on songe aux débats de cet été sur les rodéos urbains, sur l’allocation de rentrée scolaire ou sur la prévision des orages violents : c’est tout le discours public qui se focalise sur des objets, sans les relier à l’action publique ou à une perspective de changement. En résonance avec ce phénomène, la spécificité du centrisme macronien tient surtout à sa capacité de produire un discours volontiers radical, entretenant un haut niveau de conflictualité dans le débat public et qui mobilise souvent l’imaginaire guerrier, mais sans agir concrètement au-delà de quelques chèques et investissements localisés, ou l’annonce démagogique de « priorités ». On peut aussi y voir une caractéristique du populisme qui consiste, comme style de gouvernement, comme production discursive d’une réalité politique alternative, à créer des catégories abstraites qui masquent, pas nécessairement volontairement, l’action au sein des structures sociales maintenues intactes.

Le macronisme entretient un haut niveau de conflictualité dans le débat public.

La conséquence de cette structuration du langage politique est de créer des espaces de conflits – les rodéos urbains deviennent la métaphore d’une incivilité généralisée, l’allocation de rentrée celle d’une rente supposée de ménages « assistés ». Les positions alternatives qui voudraient agir sur les causes structurelles subissent un retour de flamme immédiat, rendues soit inaudibles, soit complices de l’islamisme, de la violence ou d’un délitement civilisationnel. C’est en cela également que le macronisme est apparu étrangement soluble dans les discours d’extrême droite, comme en ont témoigné un Gérald Darmanin ou un Jean-Michel Blanquer, privilégiant les anathèmes, mais ne prétendant en rien remettre en cause la répartition des rôles sociaux et économiques – comme, par ailleurs, le RN depuis plusieurs années.

La « fin de l’abondance » ?

On le croyait un libéral convaincu et déterminé ; Emmanuel Macron s’est révélé un conservateur inquiet, qui évoque « la fin de l’abondance et de l’insouciance » au conseil des ministres de rentrée ; on a entendu depuis cet été que les crises climatiques, la guerre et l’épidémie l’inquiétaient désormais. Pour autant, il ne semble pas que cette fin de l’abondance amène le chef de l’État à remettre en cause les grandes lignes de l’action publique depuis plusieurs décennies, accrochées à la croissance et à la compétitivité. Sa sortie semble au contraire la marque d’un déclinisme typiquement conservateur.

L’idée de progrès, qui constituait l’élément central de son logiciel depuis 2017, n’est plus perçue de la même manière par la classe politique dirigeante, qui alors l’opposait au conservatisme. Sauf que l’ethos dominant semble désormais considérer que la « réalité économique » et les « crises » prévalent sur les capacités de transformation. Ou plutôt que ces dernières doivent être mises au service d’une lecture pessimiste de l’histoire : faute de pouvoir encore défendre l’innovation à tout prix pour la croissance, du fait de la raréfaction des ressources et des externalités de notre modèle énergétique, on défend la sobriété, qui a des airs d’austérité et pèse comme une responsabilité individuelle sur tous.

Emmanuel Macron et ses soutiens n’ont pas le monopole de ces formes de discours politique. La France insoumise (LFI) a beau porter dans le débat public des positions et des analyses diamétralement opposées à celles de la majorité présidentielle, elle s’inscrit tout à fait dans cette nouvelle conflictualité : les cadres du parti privilégient les coups d’éclat comme s’ils étaient encore une opposition, alors qu’ils sont en mesure de participer à des majorités de circonstance et de faire avancer des lois importantes. Si leur programme est bien construit, il est pris dans la stratégie populiste pour gagner en pénétration, au risque de perdre en surface. Le Parti socialiste, quant à lui, n’a pas précisé son cadre de pensée, et les écologistes, qui présentent une grande diversité programmatique, ne parviennent pas à gagner en efficacité dans le discours public. Le gouvernement peut alors s’en tenir à une position de surplomb comme s’il avait encore la majorité absolue. Dans ce paysage, le RN n’a même pas à démontrer qu’il peut être constructif, et il peut laisser aux Darmanin et aux Dupond-Moretti les mots durs à l’égard des étrangers ou des jeunes violents.

Cette nouvelle conflictualité assèche le débat public de tout débat de fond et empêche les compromis véritables qui ont fait la démocratie contemporaine, libérale ou sociale. À l’échelle du débat public, elle prive de la vertu de la discussion et de l’écoute, en rabaissant les propos complexes à des étiquettes et catégories abstraites fortement connotées. Cela vaut au sein des camps politiques autant qu’entre eux et qu’à l’échelle du débat public.

  • 1. Pierre Serna, L’extrême centre ou le poison français (1789-2019), Paris, Champ Vallon, coll. « L’Esprit libre », 2019. Voir mon compte rendu dans Esprit, juillet-août 2019.

Matthieu Febvre-Issaly

Doctorant en droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Matthieu Febvre-Issaly est spécialisé en droit constitutionnel comparé et en théorie du droit.

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