Jean-Pierre Dupuy
Philosophe, épistémologue
Dans son œuvre, Jean-Pierre Dupuy a à cœur de tisser des liens entre les différents champs du savoir (économie, anthropologie, épistémologie…) pour mieux comprendre les phénomènes auxquels est confronté le monde contemporain, qu’il s’agisse de la crise financière ou du risque de destruction que le développement des armes de destruction massive fait peser sur l’humanité. Auteur et éditeur, il a longtemps co-dirigé la collection "La couleur des idées" aux éditions du Seuil. Après des premiers travaux menés avec Ivan Illich (Nemesis médicale. L'expropriation de la santé), il a participé aux discussions suscitées aux Etats-Unis, où il a longtemps enseigné, par la parution de la Théorie de la justice de John Rawls.
Il analyse ainsi la théorie de la justice à l’aune de l’évolution du libéralisme. Dans une société libérale, c'est-à-dire sans transcendance, l'homme doit être préservé du nombre : la perspective d'un sacrifice de l'individu à la collectivité, qui assurait autrefois la pérennité de l'ordre social, est désormais rejetée. Mais cette absence de transcendance, et l'individualisme qui en découle, libèrent l'envie, qui menace l'ordre social en permanence. Rejet du sacrifice, et rejet de l'envie que ce premier rejet engendre : voilà ce qui constitue selon Dupuy la trame avec laquelle il faut lire toute théorie moderne de la justice (Le sacrifice et l’envie, 1992).
L’absence de transcendance mène également l’homme à s’anéantir lui-même. Or, cette destruction, il ne veut pas y croire. Pourquoi ? Dans Pour un catastrophisme éclairé (2002), Dupuy distingue le « temps de l’histoire », auquel nous sommes habitués, et le « temps du projet », qu'il propose comme paradigme pour penser la catastrophe et agir face à elle. Dans le « temps de l’histoire », le temps est envisagé rétrospectivement et les possibles jamais actualisés n'ont aucun intérêt. C'est parce que nous concevons uniquement le temps de cette façon que nous n’agissons contre les catastrophes qu’une fois celles-ci réalisées. Le « temps du projet », lui, unit passé et futur : la catastrophe est déjà présente aujourd’hui, ce qui peut nous faire agir pour que, paradoxalement, elle ne se soit jamais produite.
En somme, la question est celle de la transcendance, et de sa réintroduction à l’époque contemporaine. Pour que cela puisse se faire, il faut à l’homme des points d’appui extérieurs qui lui permettent de se projeter hors de lui-même. A l’heure de l’omniprésence de l’économie, ce sont justement ces points d’appui qui viennent à manquer (La Marque du sacré,2009).
Un entretien publié dans la revue est consacré aux étapes et à la cohérence générale de sa réflexion, sous le signe de la catastrophe, à lire ici en accès libre :
"D'Ivan Illich aux nanotechnologies. Prévenir la catastrophe ?"