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Notes de lecture

Dans le même numéro

Les enfants de la Clarée de Raphaël Krafft

novembre 2021

Pour qui a déjà eu la chance de côtoyer les paysages majestueux de la vallée de la Clarée, ce livre constitue une délicate réminiscence en même temps qu’une véritable épiphanie. Raphaël Krafft donne à voir cette vallée enchanteresse comme lieu de passage, de brassage et de danger.

Journaliste travaillant avec France Culture, Raphaël Krafft s’intéresse particulièrement au sort des migrants, en France comme à l’étranger. Alerté par deux reportages sur une nouvelle voie de passage entre la France et l’Italie, le col de l’Échelle, il décide d’y enquêter à l’automne 2017. Il y fait la rencontre de personnages hauts en couleur, rhéteurs et surtout sauveteurs. Face à l’absence de premiers secours, les habitants de Névache, le plus gros village de la vallée, s’organisent pour venir en aide aux migrants qui empruntent le col par toutes conditions météorologiques, au mépris de leur vie. Bernard, ancien militaire d’active et figure tutélaire de la bande, accueille chez lui les jeunes en détresse. Son gîte sert de lieu de rendez-vous à la petite communauté qui s’est créée pour secourir, là où les gendarmes ne font que sévir.

Le livre se divise en trois chapitres. Le premier raconte la découverte de la vallée, de ses habitants et de ses passagers, dont la clandestinité est précieusement protégée. La nuit du 11 novembre 2017, au cours d’une maraude avec une consœur du Temps et des membres de l’hétéroclite assemblée des « copains de la Clarée », l’auteur rencontre quatre mineurs. Trois sont guinéens et le quatrième est sénégalais. Tous sont frigorifiés. La troupe leur procure du thé et des biscuits ainsi que des vêtements chauds.

L’originalité du livre, en plus de nous faire connaître la situation des migrants, tient au voyage effectué par Raphaël Krafft en Guinée durant l’été 2018. C’est l’objet du deuxième chapitre, qui s’ouvre juste après la rencontre avec Salif, l’un des trois jeunes Guinéens. En lien avec de jeunes élèves de différentes écoles de France, dont celle de Névache, le journaliste s’est en effet rendu dans le pays du golfe de Guinée pour rendre compte aux écoliers des conditions de vie en Guinée. À charge ensuite pour eux de rédiger des reportages issus de cette matière brute. On y découvre un pays exsangue, dans lequel l’Organisation internationale pour les migrations, l’Union européenne ou le département de la Gironde financent des films, des publicités ou des artistes pour décourager les candidats au départ. Peine perdue, selon l’auteur, puisque les jeunes et les moins jeunes qui prennent la route vers le nord ne sont pas naïfs et connaissent la difficulté du voyage et ses dangers. L’enfer libyen est seulement esquissé. Il fait froid dans le dos, plus sûrement qu’une rafale hivernale au col de l’Échelle. Les migrants subsahariens y sont désignés par le mot abid, qui signifie « esclave » en arabe. Ce terme n’est malheureusement pas métaphorique.

Le troisième et dernier chapitre nous ramène à la nuit du 11 novembre 2017 et détaille l’arrestation du convoi par des gendarmes zélés sur la route de Briançon. Les montagnards et les deux journalistes sont accusés d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour de personnes en situation irrégulière, « ce qui est un délit pénal », répètent à plusieurs reprises les gendarmes. Ils devront rendre des comptes, les jours suivants, après que la hiérarchie contactée a eu la largesse de ne pas leur faire passer la nuit au poste. Les quatre mineurs sont refoulés vers la frontière, à 1 500 mètres d’altitude, sans n’avoir reçu ni eau ni nourriture, au mépris de la règle juridique qui impose que les mineurs en détresse soient confiés au plus vite à l’aide sociale à l’enfance du département. On n’évoquera pas les plus élémentaires règles d’humanité que tout montagnard, même débutant, ne saurait ignorer. « En droit français, le délit d’abandon est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende pour les animaux domestiques », rappelle sobrement l’auteur.

Dans sa décision du 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel a énoncé que « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national » découle du principe de fraternité. L’aide à la circulation dans un but humanitaire n’est donc pas un délit. Par ailleurs, l’affaire ayant fait un peu de bruit, le préfet des Hautes-Alpes s’est vu notifier une mutation d’office dès le mercredi 15 novembre 2017. À la fin du livre, le narrateur raconte avoir emmené deux conseillers de l’Élysée en visite dans la vallée de la Clarée. Leur souhait était de se forger une opinion sur un phénomène à propos duquel leur remontaient de trop nombreuses informations contradictoires. La démarche est louable, même si l’auteur ne se berce d’aucune illusion sur les conséquences politiques de ce voyage. En contact avec l’auteur qui rencontre un migrant sans domicile, l’un des conseillers accepte pourtant d’héberger ce dernier à son domicile deux mois durant.

Marchialy, 2021
250 p. 19 €

Léo André

Léo André est administrateur des services de l'Assemblée nationale. Il est diplômé de l'Ecole Centrale de Lyon et de Sciences Po Paris.

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Internet en mal de démocratie

L’essor sans précédent d’Internet et des nouvelles technologies de l’information a transformé en profondeur le rapport des citoyens à la participation civique. Si elle a permis des progrès incontestables, cette révolution numérique pose également des défis pour la préservation du débat en démocratie. Le bouleversement introduit par le numérique dans la délibération publique semble en effet remettre en cause les exigences traditionnellement associées au débat démocratique, comme l’égalité d’accès, le contrôle public des instances de modération, la fiabilité de l’information ou le pluralisme des courants d’expression. Quelles stratégies adopter pour faire face aux dérives qui touchent aujourd’hui le débat sur Internet ? Le dossier, coordonné par Romain Badouard et Charles Girard, examine la propagation des fausses nouvelles, la mobilisation de nouveaux publics, les pouvoirs de régulations privés et la déstabilisation des cadres juridiques. À lire aussi dans ce numéro : le naufrage moral de l’Église, qui sont les talibans ?, gouverner la pandémie et une rencontre avec Pierre Bergounioux.