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Flux d'actualités

Tolkien, voyage en Terre du Milieu

décembre 2019

Le dispositif permet l’examen de l’univers créatif de Tolkien au travers des aventures de ses personnages, mais aussi de construire un dialogue entre l’œuvre de Tolkien et ses sources d’inspiration.

Jusqu’au 16 février 2020, la Bibliothèque nationale de France consacre J. R. R. Tolkien une exposition : Tolkien, voyage en Terre du Milieu. Un an après Oxford et New York, l’exposition parisienne représente un événement culturel majeur par sa superficie, sa (déjà) très forte popularité et la qualité des quelque trois cents pièces présentées. Elle tire profit d’une collaboration étroite entre les deux commissaires principaux (Vincent Ferré, professeur de littérature générale et comparée à l’université Paris Est-Créteil, et Frédéric Manfrin, conservateur en chef au département de philosophie, histoire et sciences de l’homme de la BnF, associés à Élodie Bertrand et Émilie Fissier de la BnF), le Tolkien Estate, la Bodleian Library de l’université d’Oxford et les Raynor Memorial Libraries de l’université Marquette à Milwaukee. De nombreux objets associés à l’œuvre de l’auteur anglais y côtoient des pièces de contextualisation. La scénographie divise l’exposition en deux parties. La première est une déambulation érudite et immersive sur le terrain des créations multiples de Tolkien, tandis que la seconde prend pour objet d’étude la vie de celui-ci.

L’exposition débute par une plongée en Terre du Milieu. Passé un premier espace introductif rappelant le but recherché par les commissaires d’exposition ainsi qu’une présentation soignée de manuscrits et dessins, on entre par un trou à la (re)découverte des territoires du diptyque de Tolkien (Le Hobbit ; Le Seigneur des Anneaux). Du Comté au Royaume Nain, des forêts à Valinor, le public peut lire et observer des documents écrits (manuscrits, lettres manuscrites, notes) ainsi que des objets d’art (dessins, tapisseries, peintures, cartes, gravures, casques, épées…). Composé de onze chapitres, le dispositif permet l’examen de l’univers créatif de Tolkien non seulement au travers des aventures de ses personnages (Frodo, Gollum, Bilbo, Minas, Arwen…), mais aussi de construire un dialogue entre l’œuvre de Tolkien et ses sources d’inspiration (la philologie, la religion catholique, les contes nordiques, les manuscrits médiévaux, Oxford, l’Angleterre edwardienne). Deux éléments retiennent l’attention. Le premier a trait au fait que Tolkien, en plus d’être un auteur et un professeur de premier plan, est aussi un dessinateur, dont les réalisations (notamment les cartes) peuvent servir de supports à l’œuvre écrite. Le second a trait à la mise en valeur de l’imaginaire de Tolkien sous forme d’objets d’art. Aidée par un très bel éclairage, la scénographie de Flavio Bonucelli parvient ainsi à mettre en valeur certaines pièces d’exception. On pense aux tapisseries (« Bilbo arrive aux huttes des Elfes des radeaux », Rivendell…), au manuscrit du Beowulf illustré par William Morris et surtout à l’imposant espace consacré au pays des Ombres (Le Mordor).

Le passage entre la première partie et la seconde est souligné par la traversée d’une salle représentant la Grande Mer. Ayant quitté la Terre du Milieu, le public accède à Valinor (pays des dieux). Le nouvel espace, intitulé « Retour à Oxford », s’articule autour de quatre chapitres (« Une vie à Oxford », « Le professeur Tolkien », « Écrivain pour enfants », « L’œuvre d’une vie »). Plus restreint, il vise à expliciter la genèse de l’œuvre en plongeant dans la vie d’un homme qui n’aura cessé d’écrire, d’enseigner et de se livrer à ses passions. Le public pourra à nouveau mesurer l’importance d’Oxford – lieu de socialisation grâce à sa communauté scientifique, lieu d’observation d’une nature foisonnante et lieu de transmission filiale – dans la trajectoire professionnelle et personnelle de Tolkien. Assez peu réflexive, cette partie repose essentiellement sur le conséquent travail de conservation et de valorisation effectuée par le Tolkien Estate. Plusieurs pièces d’exception se dégagent. On pense à la reconstitution du bureau de Tolkien ainsi qu’à la partie explorant une question centrale pour quiconque s’intéresse à l’œuvre de Tolkien : est-il un écrivain pour enfants ? En effet, la représentation populaire de Tolkien hésite entre celle d’un auteur à la production tournée vers un lectorat jeune et une autre insistant sur sa richesse thématique et sur la présence d’écrits plus sombres. Si elle se garde de donner une réponse unique et définitive, cette partie livre des éléments de réponse intéressants (aquarelles du Hobbit, illustration des Lettres du Père Noël, poèmes) qui tendent à considérer comme un auteur qui a constitué une œuvre qui dépasse les catégorisations hâtives.

Cette exposition apporte un éclairage original sur une œuvre essentielle du XXe siècle. Elle témoigne d’un travail collégial qui a permis de concevoir une manifestation culturelle d’envergure. Ses deux parties permettent l’approfondissement d’un imaginaire créatif unique et familier. Elle achoppe néanmoins sur deux problèmes. La partie inaugurale déploie un dispositif rigoureux, mais répétitif, qui peut noyer le public, averti ou non, dans une quête eschatologique de références. L’accumulation de documents, cartes, livres, objets d’art dans les différents espaces semble par moment tenir davantage d’une recherche d’exhaustivité universitaire que d’une volonté d’accompagner le public dans sa rencontre avec l’œuvre de Tolkien. L’autre limite a trait à l’écart important d’intérêt entre les deux parties. La seconde ressemble en effet à un exercice de contextualisation biographique oscillant entre hagiographie et storytelling. Traversée par l’influence du travail de son exécuteur littéraire (son troisième fils, Christopher) et de l’épouse de celui-ci, elle peine à séduire. Plusieurs éléments auraient sans doute permis de remédier à ce déséquilibre. En effet, on peut s’interroger sur la pertinence de ne pas consacrer une place – aussi réduite soit-elle – aux adaptations cinématographiques de Peter Jackson. Celles-ci ont grandement participé, et participent toujours, à la popularité des livres de Tolkien et témoignent de sa place centrale dans la culture populaire. Il aurait été par ailleurs utile d’exploiter les débats suscités par l’interprétation de ces romans. Cette absence prive ainsi le public d’échanges, pourtant féconds, qui ne devraient pas rester le fait d’universitaires ou de fans.