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Photo : Babette Babich
Photo : Babette Babich
Flux d'actualités

Marcel Hénaff (1942-2018)

par

Esprit

juin 2018

#Divers

Nous apprenons avec tristesse la mort prématurée de Marcel Hénaff (1942-2018). Philosophe et anthropologue, professeur à l’université de Californie à San Diego, Marcel Hénaff était un ami et collaborateur fidèle d’Esprit, dans laquelle il a publié de nombreux textes et coordonné trois dossiers.

Dans le premier, Y a-t-il encore des biens non marchands ? (février 2002), il avait accordé un long entretien à la revue, à propos de son livre Le Prix de la vérité. Le don, l’argent, la philosophie (Seuil, 2002), dans lequel il évoque son parcours – moins une continuité qu’une « insistance » – depuis ses livres sur Sade (voir Sade. L’invention du corps libertin, Puf, 1978) et sur Claude Lévi-Strauss (Claude Lévi-Strauss et l’anthropologie structurale [1991], Seuil, 2011). Il soutient la thèse que « le don cérémoniel n’est pas d’abord échange de biens mais procédure de reconnaissance » et la situe par rapport à diverses interprétations du don. Soulignant la dimension politique du don dans un monde où tout devient marchandise, il écrit : « L’esprit du don, ce ne sera pas de faire charité, ce sera d’abord travailler à rétablir les conditions objectives de la reconnaissance réciproque, bref, ce sera œuvrer à assurer la justice. »

Comme celle de son maître Lévi-Strauss, son anthropologie était « bonne à penser ». Tel est le titre qu’il avait retenu pour ce deuxième dossier, coordonné en janvier 2004, Claude Lévi-Strauss : une anthropologie « bonne à penser ». En complément du long article qu’il consacre à l’anthropologie structurale dans ses débats avec la phénoménologie et l’herméneutique et de l’entretien que lui a accordé Lévi-Strauss à l’occasion de ce dossier, il est possible de lire un court article, « Adieu à la structure ? » (août-septembre 2011), sur le passage de la « structure », issue des travaux sur la parenté, à la « transformation », issue des travaux sur la mythologie, dans l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss, laissant ainsi plus de place au concept musical de variation.

Avec des textes décisifs sur la ville globale (« Vers la ville globale : monument, machine, réseau », mars-avril 2004), le rapport de Paul Ricœur à la Grèce (« La Grèce avant la raison », novembre 2013) et à la traduction (« “La condition brisée des langues” : diversité humaine, altérité et traduction », mars-avril 2006), le don (« L’argent et le hors-de-prix », février 2002 ; « Le don perverti. Pour une anthropologie de la corruption », février 2014) et le temps (« La valeur du temps. Remarques sur le destin économique des sociétés modernes », janvier 2010), Marcel Hénaff pratiquait lui-même la variation sur des motifs qui, en lui, « insistaient ». Depuis la Californie où il enseignait l’anthropologie et la philosophie, il était intervenu dans le débat sur l’interprétation des attentats terroristes de Paris en 2015. Dans « Terreur et vengeance. Une immense demande de reconnaissance » (mai 2016), Marcel Hénaff se demandait comment comprendre la logique vengeresse dont se réclament les terroristes. Il soutenait qu’il ne s’agissait pas en réalité de vengeance, mais d’un « terrorisme de punition », liée à une blessure identitaire et une demande d’être reconnu. Il concluait : « Il n’y a pas de dette de l’histoire, ni une génétique de la faute. Il y a, depuis cet héritage, une responsabilité à assumer le choix de vivre ensemble pour le temps qui vient. »

Après un remarquable article sur l’Europe (« L’Europe, une genèse paradoxale », décembre 2017), Marcel Hénaff avait coordonné un troisième et dernier dossier pour la revue : Le passage de témoin, en avril dernier. Sa contribution, « Le lien entre générations et la dette du temps », s’ouvrait sur cette phrase de René Char qu’affectionnait Hannah Arendt : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament. » Il s’était montré, au cours du travail de préparation, particulièrement sensible à la nécessité de « passer le témoin » aux jeunes générations. Comme il l’écrit dans son article, à propos des présents de Noël notamment, « les anciens renaissent dans les nouveaux ».