
Médias hybrides
Introduction
Les médias contemporains évoluent désormais dans un régime d’économie de l’attention, imposé par la multiplication des acteurs et par le rôle croissant des algorithmes dans la valorisation de l’information. La confusion générale qui s’est installée, entre les rédactions traditionnelles et les plateformes socio-numériques, entre l’information, la connaissance et le divertissement, appelle un travail d’éclaircissement conceptuel.
Plus que jamais, le terme « médias » est devenu un vortex qui aspire et semble unifier des réalités et des formes bien différentes, sinon hétérogènes. Médiation « médiatique » et médiation politique sont prises dans la même crise de confiance, au moment où le mode de financement des médias publics est remis en question.
Une confusion grandissante s’est installée sur ce qu’est un « média ». Entre des médias traditionnels d’information, travaillés par de puissantes tensions économico- politiques, et les plateformes socio-numériques, qui se présentent comme de modernes salles de rédaction en libre accès, l’infrastructure et son économie produisent des effets massifs qu’il est plus que jamais nécessaire de distinguer. Il importe de préciser les frontières et les liens entre l’industrie médiatique, produisant de la valeur ajoutée éditoriale, et l’industrie « médiatisante », mettant en contact les individus entre eux et captant leurs productions sans produire d’œuvre significative1. Ainsi, le rôle croissant des algorithmes dans l’évolution des pratiques éditoriales et médiatiques et leurs effets sur l’ensemble des agents médiatiques, institutionnalisés ou individuels, sont au cœur de ce dossier. Mieux saisir le fonctionnement de ces derniers s’avère en effet indispensable pour comprendre les transformations de la relation médiatique dans un régime d’économie de l’attention.
Ce à quoi nous assistons relève moins du basculement d’un modèle à un autre que de phénomènes d’hybridation entre ces différentes formes de médiation. L’ancienne division entre information et divertissement se dilue ainsi dans la catégorie problématique de « contenus ». C’est aussi le monde médiatique traditionnel qui s’hybride avec le monde numérique dans les conflits contemporains. La guerre en Ukraine, premier conflit majeur de l’ère numérique, est aussi une guerre de l’information, où l’information en source ouverte sur Internet et les réseaux sociaux permet à des journalistes, mais aussi à des chercheurs ou à des citoyens, de dévoiler en temps réel propagande, intox et contre-propagande dans une spirale sans fin.
De même, ces hybridations brouillent les frontières entre actualité et connaissance, faisant apparaître de nouvelles figures de médiateurs, aux marges du territoire médiatique traditionnel. En traduisant des discours d’information dans un autre univers médiatique, YouTubers ou streamers réagencent information, connaissance et divertissement, sur la base d’une nouvelle hiérarchie des légitimités. Ce faisant, ils nous poussent à examiner les conditions de l’émergence possible d’un nouvel espace public de débat, d’éducation et de confrontation.
De nouvelles figures de médiateurs réagencent information, connaissance et divertissement, sur la base d’une nouvelle hiérarchie des légitimités.
Il faut inscrire cette réflexion sur l’espace public et médiatique contemporain dans une histoire plus longue des médias, non pour relativiser les difficultés bien réelles auxquelles nous sommes confrontés, mais pour en cerner les véritables spécificités. Ce travail critique, largement ébauché dans le monde intellectuel, l’est aussi dans le champ politique et européen, même si la nécessité de canaliser la puissance de ces acteurs majeurs que sont les Gafam demandera encore de nombreux efforts, tant du côté de la prise de conscience des usagers que de celui des régulations étatiques. Par leurs éclairages croisés, les auteurs de ce dossier explorent donc à nouveaux frais le triptyque « médium, médiations, médiateurs » et le nouvel équilibre qui s’y cherche. Il ne s’agit ni de regretter un âge d’or de l’espace médiatique que les réseaux sociaux auraient détruit, ni de se réjouir naïvement des opportunités qu’offrent ces nouvelles formes de conversation numérique. Il faut en revanche interroger la transformation de notre rapport à l’information et de la construction d’un espace public de débat, « médiation » indispensable à la délibération démocratique.
- 1. Voir Yves Jeanneret, Critique de la trivialité. Les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Paris, Éditions Non Standard, 2014.