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Coordination des sans-papiers de Paris , septembre 2017 | Wikimédia
Coordination des sans-papiers de Paris , septembre 2017 | Wikimédia
Dans le même numéro

Pour un accueil conforme aux exigences de la République

Les politiques de l’asile mises en œuvre en France sont marquées par la conviction tenace selon laquelle un accueil indigne aurait un effet dissuasif sur les migrants. Il est grand temps d’abandonner cette idée fausse pour bâtir, en lien avec la société civile, une stratégie d’accueil cohérente.

Juin 2015, XVIIIe arrondissement de Paris, aux jardins d’Éole, des dérapages marquent l’intervention de la police sur un campement de migrants en présence d’élus après que des personnes, quelques jours auparavant, sont restées sans solution à la suite du démantèlement d’un campement dans Paris, à la Chapelle.

Novembre 2020, place de la République à Paris, des dérapages marquent l’intervention de la police sur un campement de migrants en présence d’élus après que des personnes, quelques jours auparavant, sont restées sans solution à la suite du démantèlement d’un campement à Saint-Denis.

Entre-temps : une crise de l’asile en Europe en 2015 avec des arrivées nombreuses – jusqu’à un million en Allemagne ; puis la fermeture des frontières en Grèce et en Italie avec de moindres arrivées à partir de 2016 ; l’installation de campements en France où se regroupent des hommes, des femmes, des enfants ; des élus, des professionnels et des citoyens mobilisés pour l’accueil ; un esprit public de plus en plus taraudé par le doute alors que la crise sociale s’amplifie, que la panne de l’intégration se confirme et que la menace terroriste se matérialise.

L’impasse de la dissuasion

Qu’avons-nous appris, quand les mêmes scènes se reproduisent dans Paris, à quelques années et arrondissements près ? Quelles leçons avons-nous tirées des dizaines de mises à l’abri efficacement menées entre 2015 et 2020 par les pouvoirs publics – préfectures de région et de police en tête –, la mairie de Paris et les associations ? Sans parvenir à éviter l’installation de nouveaux campements à Paris comme dans d’autres villes françaises : Calais, Metz, Lyon, Bordeaux, Nantes, etc.

Le naturel, la tentation de la dissuasion, a repris le dessus. Il n’avait pas disparu, mais il est redevenu dominant. De mauvaises conditions d’accueil éviteraient de nouvelles arrivées de migrants. Calcul toujours démenti. Nul n’est dissuadé par un campement dans des rues françaises, quelle qu’en soit la dureté, après avoir dû franchir tant d’obstacles. Calcul pourtant sans cesse réitéré.

L’effet dissuasif est une illusion. L’effet d’indignité et de désordre, en revanche, est garanti : pour ces personnes livrées à la rue, qui plus est par temps de crise sanitaire, mais aussi pour les riverains, pour tous les citoyens de ce pays, spectateurs de ces dérives. Que croit-on que fabriquent de tels lieux, de telles images, dans une société déjà travaillée par l’incertitude culturelle et sociale ? Tel est le prix du mal-accueil.

Notre système d’accueil est bloqué, alors même que nous ne sommes pas en situation d’arrivées massives de migrants. Le nombre des places d’hébergement consacrées aux demandeurs d’asile a fortement augmenté depuis dix ans, passant de 45 000 à plus de 100 000. Pourtant, un demandeur d’asile sur deux n’est pas accueilli comme il le devrait, mais dans l’hébergement d’urgence ou abandonné aux campements. Tout cela alimente de la part des pouvoirs publics la sensation d’une course sans fin et la tentation d’accélérer les parcours de prise en charge, parfois sans solution. Mais le nombre de places reste en réalité insuffisant.

La dégradation des standards d’accueil a des conséquences sur l’accompagnement des personnes et finalement sur leur intégration.

De plus, ces augmentations de places se sont accompagnées d’une détérioration du niveau de l’accueil, le recours aux Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) devenant minoritaire. Si la réponse à l’urgence a naturellement conduit à être réactifs et inventifs, la dégradation des standards d’accueil a des conséquences sur l’accompagnement des personnes et finalement sur leur intégration. Elle fragilise nombre d’acteurs associatifs qui gèrent ces dispositifs sur des financements publics et dont la qualité des prestations subit le contrecoup de périlleuses évolutions financières.

Un cadre cohérent pour le droit au séjour

Cette situation n’est pas sans effets sur l’hébergement généraliste qui accueille, faute de place dans les dispositifs spécialisés, un nombre croissant de migrants. Il s’ensuit de nombreux défis pour le monde associatif, pour mettre en place et gérer aux plus bas coûts imposés, mais aussi pour adapter le travail social à de nouveaux publics. Le risque est aussi réel que s’installe l’idée d’une concurrence des publics, nationaux et étrangers, qui ne mène qu’à davantage de confusion dans l’opinion.

Le manque de « fluidité » du dispositif – et les coûts que cela induit – tient aussi au blocage de l’accès au séjour. C’est d’abord le cas pour l’asile – pas tant détourné qu’asphyxié – devenu la principale porte d’accès faute de disposer d’autres voies de migration légale. Les règles européennes (Dublin) fixant l’accès à l’asile ont tourné à la dissuasion. Au-delà, c’est un parcours du combattant qui est en place en raison de la complexité et de la longueur des délais d’accès aux guichets administratifs successifs1. Lorsqu’il est chargé du premier accueil, le monde associatif devient le réceptacle des dysfonctionnements, parfois violents, de tout un système. Sans compter la fermeture des guichets administratifs d’enregistrement de la demande d’asile pendant la crise sanitaire du printemps, qui n’a fait qu’illustrer, dans des circonstances exceptionnelles, les difficultés de ces services publics et de leurs agents. La volonté de dissuasion n’aide pas à construire un projet mobilisateur, pas plus dans les services publics qu’ailleurs.

Ce blocage ne concerne pas seulement l’asile, mais aussi la délivrance des premiers titres de séjour ainsi que leur renouvellement, qui prolonge l’attente dans les structures d’hébergement et les campements, et nourrit le découragement des personnes et de leurs accompagnants. En outre, un nombre important de personnes reconnues réfugiées restent à la rue ou dans les hébergements, faute de logements, en dépit des efforts de l’administration2 et du monde associatif.

Nous ne pouvons pas laisser perdurer ces situations qui ajoutent à la fragilisation de la cohésion sociale du pays. Nos associations sont en première ligne. Elles agissent, chaque jour, partout, en lien avec les pouvoirs publics et s’adaptent à de nouveaux défis. Pour continuer à le faire, elles ont besoin d’un cadre de dignité et d’efficacité.

Un principe fondateur devrait être posé3 : toute personne étrangère doit être prise en charge pour garantir ses conditions immédiates de vie et afin de disposer rapidement d’un titre de séjour si cela correspond aux critères fixés par notre droit, ou à défaut être reconduite. Au minimum devraient être pleinement appliqués les critères actuels du droit au séjour, même si tout donne à penser qu’ils devraient être élargis sur des bases claires et transparentes pour des situations humanitaires – les « ni-ni » plongés dans le non-droit – et pour la migration de travail.

Notre obligation juridique et notre responsabilité sont de respecter le principe d’inconditionnalité de l’accueil.

Il s’agit de substituer l’accueil au mal-accueil, dans les limites que notre pays est en droit d’y poser tout en respectant ses engagements internationaux et européens concernant notamment l’asile et le droit à la vie familiale. Notre obligation juridique et notre responsabilité sont de respecter le principe d’inconditionnalité de l’accueil. Nul ne peut refuser l’accès à l’une de nos structures au motif de la situation administrative des personnes. Nous sommes et continuerons à y être vigilants. Mais il revient bien à l’État de déterminer finalement qui a droit au séjour et qui n’y a pas droit.

La mise en œuvre de ce principe suppose de faciliter les procédures à travers un accès effectif et rapide aux différents guichets administratifs pour l’asile et le séjour, ainsi que la programmation nationale et locale des modes d’hébergement généraliste et des demandeurs d’asile, dans des cadres de financement autorisant l’accompagnement adapté.

Cela ne sera possible que si une gouvernance complète des migrations et de l’asile se met en place, associant l’ensemble des acteurs ministériels, locaux et associatifs. Le ministère de l’Intérieur s’est vu confier depuis 2010 une compétence exclusive pour l’asile et les migrations qui devrait en faire un interlocuteur naturel pour l’hébergement spécialisé et l’accès au séjour, aux côtés des autres administrations concernées avec lesquelles un dialogue régulier existe. D’autant que les politiques conduites en la matière produisent des effets tant pour l’hébergement généraliste que pour la santé ou l’emploi.

Le monde associatif est disponible pour une approche de cette nature et continuer à agir utilement. Dans la tension culturelle et sociale que vit notre pays, comme tant d’autres en Europe et à travers le monde, alors qu’à la pauvreté héritée du chômage de masse s’ajoutent de nouvelles précarités à mesure que s’amplifie l’impact de la crise sanitaire, il est plus que jamais urgent d’apporter ces réponses d’ordre et de dignité.

  • 1.Voir Marie-Pascale Mignon, « Dubliné », Esprit, avril 2020. L'article est accessible en ligne ici.
  • 2.Délégations interministérielles à l’accueil des réfugiés du ministère de l’Intérieur, et à l’hébergement et à l’accès au logement du ministère du Logement.
  • 3.Exploré avec des praticiennes et praticiens du droit des étrangers dans un rapport rendu public en janvier 2020 : « Pour une politique migratoire conforme à toutes les exigences de la République » [en ligne], par Pascal Brice, Claire Brice-Delajoux, Jean-François Carenco, Luc Derepas, Olivier Gainon, Pascale Gérard, Jean-François Ploquin, Anatole Puiseux, Frédéric Sève, Bérangère Taxil, Patrick Weil. Le rapport est intégralement consultable ici.

Pascal Brice

Président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) depuis septembre 2020, après avoir dirigé l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de 2012 à 2018, pendant la crise de l'asile européen. Il est l'auteur, avec un collège de praticiens du droit des étrangers, du rapport "Pour des politiques migratoires conformes à toutes les exigences de la République", paru en…

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