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Notes de lecture

Dans le même numéro

La conquête du passé. Aux origines de l’archéologie d'Alain Schnapp

juil./août 2021

Ce livre est une réflexion sur les rapports que l’homme entretient avec les traces matérielles de son passé. Pour Alain Schnapp, l’archéologue moderne n’est pas un collectionneur, comme l’étaient ceux qu’on appelait « les antiquaires ». L’Antiquité en a connu bon nombre ; la Chine et le Japon aussi. Le Moyen Âge cultivait les reliques et n’hésitait pas au réemploi des monuments antiques, sans souci de la conservation du patrimoine. Pétrarque et Boccace, en Italie, annoncent la redécouverte de l’Antiquité et de ses formes plastiques. Ce qui n’empêche qu’à Rome, la recherche de ces objets « sémiophores » selon Pomian, « tient de l’exploitation d’une carrière ». Le xviiie siècle voit la découverte d’Herculanum et de Pompéi : on se demande comment organiser l’exploration d’une zone aussi vaste, le musée et la protection du site, ainsi que la publication des résultats. Le voyage archéologique est à la mode, mais la curiosité entraîne le pillage : « Enlevez tout ce que vous pouvez », peut écrire un commanditaire ! Les horizons des savants européens s’ouvrent à l’Orient, à l’Égypte, dont le déchiffrement de l’écriture provoque l’enthousiasme. La curiosité ne s’arrête pas à l’Antiquité classique ou chrétienne. Dès le xviie siècle, on s’interroge beaucoup en Angleterre, en Scandinavie, partout en Europe, sur les traces laissées dans le paysage par un passé que ne révèlent pas les traditions littéraires : mégalithes, tumuli, grottes. On se met à cataloguer ces sites, à en faire des relevés topographiques, à les fouiller et donc à extraire des paysages une histoire. Des collections rassemblent des objets divers de ce monde disparu dont on n’a aucune trace écrite. Pour ces passionnés, le « sol devient un livre d’histoire » et ils s’interrogent sur la signification de ces objets, sur le passé de ces hommes qui les ont laissés. Les techniques s’affinent, les descriptions systématiques se développent et l’importance de la stratigraphie se fait jour. Les Scandinaves, notamment, proposent une « analyse stratigraphique, technologique et typologique des vestiges ». On invente l’idée de la préhistoire, d’une histoire de l’homme qui serait une partie de l’histoire de la nature. On travaille avec des géologues et des paléontologues. On explore les débuts de l’humanité à travers l’évolution des objets trouvés et le développement des techniques. Il faut « percer l’épais brouillard du temps », rompre avec la chronologie biblique (nous sommes à l’époque de Darwin). Les collections d’antiquaires accueillent des silex, ces « pierres de foudre » ; Copenhague voit le premier musée moderne d’archéologie comparée, loin des cabinets de curiosité et des musées d’art. Détachée de l’antiquarisme, l’archéologie va s’autonomiser, devenir, entre 1830 et 1860, la science qui étudie la part matérielle de l’histoire humaine. La réflexion d’Alain Schnapp, cette enquête sur les savoirs qui ont précédé l’archéologie, s’accompagne d’une riche iconographie et d’une anthologie archéologique. On pourrait compléter ce livre par la lecture du très beau livre de cet auteur, paru également en 2020, Une histoire universelle des ruines (Seuil), où il s’interroge sur le regard que nous portons aujourd’hui sur les ruines, mémoires des sociétés.

La Découverte, 2020
392 p. 26 €

Annick Jamart

Historienne, elle s'intéresse à la Belgique contemporaine et préside diverses associations culturelles. Elle a publié divers articles dans la revue Esprit sur la crise institutionnelle belge et son fédéralisme atypique.

Dans le même numéro

Politiques de la littérature

Nos attentes à l’égard de la littérature ont changé. Autant qu’une expérience esthétique, nous y cherchons aujourd’hui des ressources pour comprendre le monde contemporain, voire le transformer. En témoigne l’importance prise par les enjeux d’écologie, de féminisme ou de dénonciation des inégalités dans la littérature de ce début du XXIe siècle, qui prend des formes renouvelées : le « roman à thèse » laisse volontiers place à une littérature de témoignage ou d’enquête. Ce dossier, coordonné par Anne Dujin et Alexandre Gefen, explore cette réarticulation de la littérature avec les questions morales et politiques, qui interroge à la fois le statut de l’écrivain aujourd’hui, les frontières de la littérature, la manière dont nous en jugeons et ce que nous en attendons. Avec des textes de Felwine Sarr, Gisèle Sapiro, Jean-Claude Pinson, Alice Zeniter, François Bon.