
La conquête du passé. Aux origines de l’archéologie d'Alain Schnapp
Ce livre est une réflexion sur les rapports que l’homme entretient avec les traces matérielles de son passé. Pour Alain Schnapp, l’archéologue moderne n’est pas un collectionneur, comme l’étaient ceux qu’on appelait « les antiquaires ». L’Antiquité en a connu bon nombre ; la Chine et le Japon aussi. Le Moyen Âge cultivait les reliques et n’hésitait pas au réemploi des monuments antiques, sans souci de la conservation du patrimoine. Pétrarque et Boccace, en Italie, annoncent la redécouverte de l’Antiquité et de ses formes plastiques. Ce qui n’empêche qu’à Rome, la recherche de ces objets « sémiophores » selon Pomian, « tient de l’exploitation d’une carrière ». Le xviiie siècle voit la découverte d’Herculanum et de Pompéi : on se demande comment organiser l’exploration d’une zone aussi vaste, le musée et la protection du site, ainsi que la publication des résultats. Le voyage archéologique est à la mode, mais la curiosité entraîne le pillage : « Enlevez tout ce que vous pouvez », peut écrire un commanditaire ! Les horizons des savants européens s’ouvrent à l’Orient, à l’Égypte, dont le déchiffrement de l’écriture provoque l’enthousiasme. La curiosité ne s’arrête pas à l’Antiquité classique ou chrétienne. Dès le xviie siècle, on s’interroge beaucoup en Angleterre, en Scandinavie, partout en Europe, sur les traces laissées dans le paysage par un passé que ne révèlent pas les traditions littéraires : mégalithes, tumuli, grottes. On se met à cataloguer ces sites, à en faire des relevés topographiques, à les fouiller et donc à extraire des paysages une histoire. Des collections rassemblent des objets divers de ce monde disparu dont on n’a aucune trace écrite. Pour ces passionnés, le « sol devient un livre d’histoire » et ils s’interrogent sur la signification de ces objets, sur le passé de ces hommes qui les ont laissés. Les techniques s’affinent, les descriptions systématiques se développent et l’importance de la stratigraphie se fait jour. Les Scandinaves, notamment, proposent une « analyse stratigraphique, technologique et typologique des vestiges ». On invente l’idée de la préhistoire, d’une histoire de l’homme qui serait une partie de l’histoire de la nature. On travaille avec des géologues et des paléontologues. On explore les débuts de l’humanité à travers l’évolution des objets trouvés et le développement des techniques. Il faut « percer l’épais brouillard du temps », rompre avec la chronologie biblique (nous sommes à l’époque de Darwin). Les collections d’antiquaires accueillent des silex, ces « pierres de foudre » ; Copenhague voit le premier musée moderne d’archéologie comparée, loin des cabinets de curiosité et des musées d’art. Détachée de l’antiquarisme, l’archéologie va s’autonomiser, devenir, entre 1830 et 1860, la science qui étudie la part matérielle de l’histoire humaine. La réflexion d’Alain Schnapp, cette enquête sur les savoirs qui ont précédé l’archéologie, s’accompagne d’une riche iconographie et d’une anthologie archéologique. On pourrait compléter ce livre par la lecture du très beau livre de cet auteur, paru également en 2020, Une histoire universelle des ruines (Seuil), où il s’interroge sur le regard que nous portons aujourd’hui sur les ruines, mémoires des sociétés.