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Photo : CDC
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Loi de bioéthique, un consensus fragile

La loi de bioéthique 2020 se situe dans la continuité des précédentes, consacrant un processus original de délibération entre experts, représentants politiques et citoyens. Mais les articles de loi qui ont été le plus commentés jusqu'ici ne sont pas forcément ceux dont les répercussions pour l'avenir sont les plus significatives.

La loi de bioéthique sera examinée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale ces prochaines semaines et probablement votée à l’automne après un processus démocratique qui s’est étendu sur plus de deux années. Le mode de révision de cette loi est particulier. Il est fixé depuis 1994 dans le texte de loi lui-même et fait précéder la délibération par le Parlement d’une consultation citoyenne spécifique, sous la forme d’« états généraux de la bioéthique » et d’un avis du comité consultatif national d’éthique (CCNE).

L’inscription dans la loi des principes de bioéthique est une spécificité française. D’autres pays s’en remettent aux recommandations des sociétés scientifiques et aux règles de déontologie qui en émanent, ou bien, sujet par sujet, transcrivent certains principes en droit pénal ou en droit de la famille. Si cette inscription dans la loi traduit une conception de l’éthique qui ne relève pas de la seule responsabilité des professionnels mais d’un processus démocratique, la concertation préalable témoigne d’une volonté de ne pas limiter le débat démocratique aux élus.

Les similarités dans l’organisation des débats des états généraux de la bioéthique et de la convention citoyenne pour le climat illustrent l’inspiration d’une procédure par l’autre, mais peut-être aussi la proximité des sujets.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi comprend six titres. Le premier ouvre l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes et définit l’établissement de la filiation et l’accès éventuel à l’identité du donneur. Le deuxième favorise les dons d’organe et de sang en autorisant le don croisé tout en maintenant l’anonymat. Le troisième fixe un cadre à l’utilisation de nouvelles techniques, notamment l’intelligence artificielle à visée diagnostique et l’analyse génétique. Le quatrième autorise et encadre la recherche sur l’embryon et les cellules souches. Le cinquième ajuste différentes pratiques médicales, notamment pour fixer un cadre à la production de médicaments de thérapie innovante parfois issus d’éléments du corps humain et le sixième précise les modalités de révision de la loi.

L’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes seules et les couples de femmes a cristallisé tant les soutiens que les oppositions. Issue d’une promesse de campagne, cette avancée restera très probablement perçue comme déterminante, et possiblement un marqueur d’un engagement libéral sur le plan sociétal du quinquennat d’Emmanuel Macron. La loi de bioéthique de 2020 s’inscrit donc, pour une part, dans la continuité des précédentes en élargissant les conditions d’accès à la PMA. Cette évolution ne résulte pas de nouvelles questions scientifiques ou d’évolutions technologiques. Elle est davantage la continuité sociétale d’autres textes, de l’autorisation de la contraception (loi Neuwirth, 1967), puis de l’avortement (loi Veil, 1975) à la loi du mariage pour tous (loi Taubira, 2013), qui ont progressivement affirmé la maîtrise des femmes sur leur corps, l’égalité des personnes quelle que soit leur orientation sexuelle et, plus généralement, la distinction entre sexualité, procréation et parentalité. Le vote en première lecture de ces articles, alors que les oppositions à ces droits occupent une bonne partie de l’espace politique européen et que les intégrismes religieux relèvent la tête, est un succès. Mais il est possible qu’il s’agisse de l’une des dernières conquêtes d’une évolution qu’il faudra maintenant défendre pied à pied plutôt que d’un nouveau départ.

La conscience de l’extrême fragilité du consensus trouvé et le souhait de ne pas raviver des oppositions fortes, exprimées dans la rue, a conduit à circonscrire cette évolution autant que possible à l’intérieur du cadre actuel du droit de la famille : « parents » ne vient pas remplacer « père » et « mère » dans le code de la famille et les situations dans lesquelles les parents légaux seraient plus de deux, couples homosexuels ou non, ont été sciemment esquivées. C’est une limite majeure de l’ambition du texte, même si ni la loi ni les débats n’obèrent d’évolutions futures. Ce souhait d’élargir et d’adapter le modèle de la famille nucléaire, sans le remettre en cause, participe sans doute au refus de la gestation pour autrui ou de la sélection possible du donneur, à côté des arguments d’opposition à la marchandisation des produits ou fonctions du corps humain.

À l’inverse du titre 1, les titres 3 et 4 qui traitent de l’utilisation des données génétiques et de la recherche sur l’embryon répondent à des questions posées par l’évolution scientifique et technique, qu’il s’agisse des possibilités de séquençage du génome complet, de la culture et de l’utilisation thérapeutique des cellules souches embryonnaires ou du développement in vitro d’embryons. La nature des interrogations posées est plus proche de celles à l’origine de la loi de bioéthique. Quel sera le retentissement sociétal des évolutions scientifiques et techniques ? Quelles sont celles qui sont souhaitables ? Quel encadrement faut-il leur fixer ? Que souhaite-t-on interdire ? Quelle est la portée réelle d’une interdiction ? Le législateur fraye son passage dans ces interrogations en cherchant à dégager des consensus et en acceptant les réponses de mi-chemin qui constitueraient l’étape acceptable en 2020 par la France d’une situation dont il apparaît très probable qu’elle continuera d’évoluer.

Trois exemples différents de cet arbitrage entre possible, souhaitable et applicable peuvent illustrer cet équilibre et sa difficulté.

L’article 10 précise que « l’examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique », maintenant l’interdiction en France des examens génétiques dans d’autres contextes, tel le questionnement généalogique. Ce choix permet d’affirmer l’opposition à toute stratégie de tri des personnes en fonction de leurs caractéristiques génétiques, dans un contexte marqué à la fois par l’approche universaliste française et par le spectre de l’eugénisme d’État. L’applicabilité du principe fera débat et les difficultés ont été illustrées par les fenêtres de publicité que voyaient apparaître les députés se renseignant sur le sujet, matérialisant la facilité de l’accès aux services qu’ils s’apprêtaient à interdire.

L’article 11 porte sur les traitements algorithmiques dans le cadre de l’application de l’intelligence artificielle aux stratégies diagnostiques et précise qu’une intervention humaine reste nécessaire. Il apparaît davantage comme un signal que des questions éthiques surgiront du développement de ces techniques et comme une ouverture pour que le pouvoir règlementaire puisse s’en emparer. Il illustre les difficultés de temporalité rencontrées dans la réflexion sur ces sujets. Lorsque le législateur anticipe une évolution possible, il peine à produire un texte normatif, faute que la déclinaison technique des avancées scientifiques permette de savoir exactement ce qu’il convient d’autoriser ou d’interdire. Lorsque la loi vient trop tard, la difficulté d’application de l’interdiction devient réelle. Le fait que les questions surgissent des évolutions scientifiques, à une date imprévisible, plaide pour des mécanismes de régulation plus souples que la loi. Les avis émis par le CCNE tiennent ce rôle, mais peuvent être des remparts fragiles. Si la loi doit rester le cadre à la fois d’autorisation et de protection, elle devra être plus agile que le dispositif actuel de révisions longues et lourdes.

L’article 14 illustre d’une autre façon les évolutions successives des lois de bioéthique. Traitant de la recherche sur l’embryon et les cellules souches, il tient compte du contexte scientifique, des avancées importantes qu’apportent ces travaux à la compréhension du développement embryonnaire ou des espoirs thérapeutiques portés par la recherche sur les cellules souches. L’évolution successive des rédactions témoigne du passage progressif d’un régime d’interdiction avec des exceptions à un régime d’autorisation encadrée. Un ensemble de mesures doivent assurer l’applicabilité des restrictions et leur contrôle par l’agence de la biomédecine. Il s’agit cette fois d’accompagner une évolution des connaissances et de garantir la portée des interdictions.

Les différents articles de la loi de bioéthique se situent entre science et société. Les points les plus discutés et dont le retentissement médiatique est le plus fort sont ceux dont le retentissement sociétal est le plus immédiatement perceptible, ici la PMA pour toutes. Les questions les plus ouvertes, dont nous devrons collectivement comprendre les enjeux pour éclairer nos choix et engager notre société dans une direction ou une autre, sont probablement davantage nichées dans des articles dont le grand public s’est moins spontanément emparé. Enfin, le procédé de révision de la loi, s’il mérite peut-être une plus grande agilité, est un exemple d’un équilibre possible entre débat citoyen et démocratie représentative.

 

François Crémieux

Actuellement directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, il est proche de la revue Esprit depuis son engagement dans les Balkans dans les années 1990, dont il a témoigné dans Casque bleu de Chris Marker et, avec Marc Benda, dans Paris-Bihac (Michalon, 1995). Spécialiste des politiques de santé et de l’économie de la santé, il s’intéresse également aux questions d’éthique et…

Isabelle Richard

Professeur des universités et praticienne hospitalière en médecine physique et en réadaptation, directrice de l’École des hautes études en santé publique.