
Le réel inquiété. Entretien avec Myriam Revault d'Allonnes
Propos recueillis par Jonathan Chalier
La post-vérité remet en cause le partage entre le vrai et le faux et instaure un régime d’indifférence à la vérité. A la différence du mensonge idéologique des sociétés totalitaires, c’est le risque que la capacité de juger des citoyens se dégrade en relativisme des opinions qui menace les sociétés démocratiques. Le débat public doit alors compter sur la force des utopies à inquiéter le réel pour ouvrir des possibles
Votre dernier ouvrage, La Faiblesse du vrai[1], soutient que notre indifférence à la vérité porte atteinte à la possibilité d’un monde commun. En quoi le brouillage de la frontière entre vrai et faux qui caractérise la « post-vérité » des démocraties occidentales diffère-t-il des idéologies totalitaires ?
Il y a, dans la notion de « post-vérité », qui a massivement émergé après la campagne du Brexit et l’élection de Donald Trump, un certain nombre d’éléments qui débordent les limites du domaine et de la pratique politique au sens étroit du terme. Le dictionnaire d’Oxford qui, en 2016, a fait de la « post-vérité » le mot de l’année indique que la notion à laquelle le préfixe « post » est accolé (à savoir la vérité) est devenue elle-même secondaire, voire dépourvue de pertinence. La post-vérité remet donc en cause le caractère essentiel, vital, de la vérité. Autrement dit, elle ne désigne pas l’émergence d’une ère où triompherait le mensonge généralisé et qui se substituerait